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pour les plus avancés, est suffisante ; et elle répond: « Nous croyons qu’il s’en faut de beaucoup qu’elle soit suffisante, et qu’elle soit bonne ». Et, rappelant la lutte sanglante qui avait mis aux prises la France et l’Allemagne, elle constate que la guerre avait pu être déchaînée par deux despotes, bien que leurs sujets ne fussent pas des illettrés : « car les Allemands avaient joui de ce qu’on appelle les bienfaits de l’enseignement obligatoire, et les Français avaient reçu une instruction bien supérieure à celle que reçoit le peuple espagnol ». Donc, la prétendue instruction donnée dans ces pays n’était pas une instruction véritable, celle qui doit éclairer et pacifier les esprits ; et il faut remarquer en outre que ce furent précisément les classes dites cultivées qui, dans les deux pays en guerre, montrèrent le plus de fanatisme étroit et de haine nationale ; tandis que les protestations en faveur de la paix et de la fraternité vinrent de la classe des ouvriers.

... Relativement à la situation matérielle des ouvriers suisses, la Revista social, reproduisant une statistique d’où il résulte qu’en Suisse les ouvriers reçoivent un salaire moyen de 3 fr. 10 par jour en échange d’une journée moyenne de 12 heures 24 minutes[1], fait les réflexions suivantes : « Comme on le voit, la situation de l’ouvrier suisse n’est pas des plus prospères ni des plus séduisantes. C’est un esclave salarié, et mal salarié, ni plus ni moins que les ouvriers des autres pays... En outre, la servitude morale et matérielle dans laquelle sont tenus les ouvriers suisses par rapport au travail est en beaucoup d’endroits très lourde. »

Ces observations ne sont que trop vraies. Nous voudrions voir tous les ouvriers suisses comprendre et discuter la question sociale avec autant de sagacité que nos frères du prolétariat espagnol, et se convaincre comme eux que, sans l’émancipation économique préalable des masses, il n’y a point de véritable instruction ni de véritable liberté politique.


Nous avions promis que le Bulletin publierait « des Variétés à la fois instructives et récréatives ». Nous donnâmes, sous ce titre, tantôt des articles empruntés à d’autres journaux, tantôt des extraits d’auteurs socialistes : ainsi, dans les n° 1 et 2 de 1875, on trouve un fragment du manuscrit de mon étude sur Proudhon (celle qui avait été traduite en russe par Zaytsef), résumant un chapitre de l’Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, intitulé : «Y a-t-il raison suffisante de révolution au dix-neuvième siècle ? » ; dans les n° 9 et 10, une traduction des pages consacrées aux journées de Juin par Alexandre Herzen dans son livre De l’autre rive. Dans le numéro du 25 avril, je commençai la publication d’une série d’articles sur l’histoire de la Révolution française : je m’étais proposé, « dans une suite de courtes études, de passer en revue les principales époques de la Révolution » ; mais les circonstances me firent interrompre bientôt ce travail, qui ne fut conduit que jusqu’à la fuite de Louis XVI (numéro du 14 novembre 1875).

C’est en mai 1875 que commença la publication à Paris, en livraisons hebdomadaires, du grand ouvrage d’Elisée Reclus, la Nouvelle Géographie universelle. Je l’annonçai dans un article du Bulletin (13 juin), en insistant non seulement sur la valeur scientifique de cette œuvre colossale, mais sur l’esprit d’internationalité dans lequel l’auteur entendait l’écrire, et en donnant quelques citations caractéristiques de la préface et des trois premiers chapitres ; l’article se terminait ainsi : « Elisée Reclus est l’un des nôtres : il s’est battu à Paris, sous la Commune, dans les rangs des fédérés ; il a été jeté sur les pontons

  1. La statistique qui donne ces chiffres avait été publiée par le Bulletin du 18 avril précédent.