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l’esprit jacobin : il s’agit simplement de faire entrer la question du travail dans le domaine législatif, d’en faire un chapitre nouveau de la constitution de l’État politique et national.

Pour nous, socialistes révolutionnaires, ralliés autour du drapeau de la Commune, nous ne sommes plus jacobins. La constitution de 1793 n’a jamais été appliquée en France ; mais il n’a pas été nécessaire, pour la juger, de la soumettre à une expérience pratique. La théorie jacobine a fait son temps, d’autres horizons se sont ouverts, plus vastes, plus humains, et les aspirations populaires se sont tournées vers cet idéal nouveau. Déjà en 1796, lors de la tentative des égalitaires babouvistes, bien que le mot d’ordre officiel de la conjuration fût l’établissement de la constitution de 1793, il y avait des yeux clairvoyants dont le regard allait plus loin, et le penseur qui rédigea le Manifeste des Égaux, l’athée Sylvain Maréchal, y écrivit cette parole profonde : « Disparaissez enfin, révoltante distinction de gouvernants et de gouvernés ! »

Depuis lors, l’idée anti-gouvernementale, anti-autoritaire, a fait son chemin en France et dans les pays où les traditions historiques sont identiques, en Belgique, en Espagne, en Italie, dans la Suisse française. Elle a remplacé l’ancien dogme jacobin du gouvernement populaire, et elle s’est affirmée d’une manière éclatante par la révolution du 18 mars 1871. C’est à elle qu’appartient l’avenir dans les pays que nous venons de nommer.

Est-ce à dire que, parce que nous ne sommes plus jacobins, nous devions renier les jacobins de 1793, méconnaître ce qu’ils ont fait pour le peuple ? Non, nous ne le ferons pas ; les jacobins de 1793 sont nos pères, nous nous en souvenons. Ils ont fait ce qu’ils ont dû faire, étant donnée la situation : ils étaient les produits du milieu d’alors, comme nous sommes les produits du milieu d’aujourd’hui. Nous constatons les erreurs qu’ils ont commises, nous tâchons de nous en préserver ; mais quoique nous nous soyons affranchis des limites étroites de leur doctrine, mais nous ne voyons pas en eux des ennemis, nous les continuons en les corrigeant.

Eh bien, les jacobins allemands de 1875 doivent être pour nous ce que sont ceux de 1793 ; nos idées sont séparées des leurs par un siècle presque entier ; mais ces idées, bien que différentes dans leurs formules, sont en réalité deux expressions successives du progrès humain. Tâchons qu’il n’y ait pas en nous plus d’hostilité envers nos frères les jacobins vivants d’Allemagne, qu’il n’y en a envers nos pères les jacobins défunts de France. De même que la constitution de 1793 a fini par aboutir, en 1871, à la Commune révolutionnaire, de même du programme actuel des ouvriers allemands sortira sans doute dans l’avenir un programme nouveau, lentement élaboré par le progrès des idées qu’amèneront les événements futurs, programme dans lequel nous reconnaîtrons les principes que dès aujourd’hui nous, révolutionnaires fédéralistes, avons proclamés pour les nôtres.


Le 30 mai, à propos d’élections municipales, je discutai la tactique de ceux qui proposaient aux socialistes la conquête électorale des municipalités :


À supposer que les ouvriers voulussent tenter la lutte sur le terrain municipal, et que, par impossible, ils eussent réussi quelque part à faire pas-