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le Dr  Adolphe Vogt, de Berne, et l’ancien membre de l’Internationale genevoise Grosselin. Cette commission, réunie le 15 avril, décida, par six voix, de fixer la durée normale de la journée de travail à onze heures ; quatre voix s’étaient prononcées pour dix heures, une pour douze heures. Le Bulletin dit à ce sujet (2 mai) : « Nous allons donc décidément être gratifiés d’une législation spéciale sur les fabriques. Allons, puisqu’il faut en passer par là, qu’on en fasse l’expérience ; il paraît que le peuple suisse ne sera détrompé sur l’efficacité des textes de lois et de l’intervention gouvernementale, qu’après en avoir essayé. » Quand le texte du projet eut été publié, le Bulletin écrivit (6 juin) : « On sait quelle est notre opinion relativement à une loi sur les fabriques. Nous la croyons absolument impuissante à produire aucun bien, les dispositions en eussent-elles été rédigées dans l’esprit le plus favorable aux ouvriers. À plus forte raison, un projet aussi mauvais que celui-ci ne pourra-t-il avoir aucun autre résultat que de créer quatre sinécures d’inspecteurs à 5000 fr. par an. »

Déjà trois mois auparavant, un article du Bulletin (28 février 1875), écrit par Schwitzguébel, avait développé notre point de vue[1]. Adhémar y disait :


L’amélioration de la position de la classe ouvrière et son émancipation finale ne peuvent pas être le résultat de réformes dans les lois ; elles ne seront le résultat que de transformations dans les faits économiques.

... Pour la réduction de la journée de travail, par exemple, une loi n’avancera en rien la question. Lorsque les ouvriers jugeront le moment opportun pour introduire cette réforme dans tel métier, ils sont parfaitement en état de le faire par l’action des sociétés de résistance. Au lieu d’implorer de l’État une loi astreignant les patrons à ne faire travailler que tant d’heures, la société de métier impose directement aux patrons cette réforme[2] ; de la sorte, au lieu d’un texte de loi restant à l’état de lettre morte, il s’est opéré, par l’initiative directe des ouvriers, une transformation dans un fait économique.

Ce que la société de résistance peut faire pour la réduction des heures de travail, elle peut également le réaliser au point de vue du travail des femmes et des enfants, des conditions hygiéniques, des garanties en cas de blessure ou de mort au service d’un patron, et dans bien d’autres questions encore.

La tendance de certains groupes ouvriers d’attendre et de réclamer toutes les réformes de l’initiative de l’État nous paraît un immense danger. En attendant tout de l’État, les ouvriers n’acquièrent point cette confiance en leurs propres forces qui est indispensable à la marche en avant de leur mouvement ;... le grimoire des lois s’accroît de quelques nouveaux textes, et la position ne change en rien.

Au lieu de cela, si les ouvriers consacraient toute leur activité et toute leur énergie à l’organisation de leurs métiers en sociétés de résistance, en fédérations de métiers, locales et régionales ; si, par les meetings, les conférences, les cercles d’études, les journaux, les brochures, ils maintenaient une agitation socialiste et révolutionnaire permanente ; si, joignant la pratique à la théorie, ils réalisaient directement, sans aucune intervention bourgeoise et gouvernementale, toutes les réformes immédiatement possibles, des réformes profitables, non pas à quelques ouvriers,

  1. Cet article a été intégralement reproduit dans le volume Quelques écrits d’Adhémar Schwitzguébel, Paris, Stock, 1908.
  2. Ici, comme dans l’article du 1er novembre 1874 (voir p. 246), on trouve exposée la méthode de l’action directe.