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projet, conçu par quelques membres de la noblesse, de la convocation d’une Assemblée nationale qui serait chargée de doter la Russie d’une constitution, et il disait : « Ni en Angleterre, ni en France, où les parlements sont arrivés au plus haut degré de perfectionnement, il n’est résulté des délibérations de ces assemblées aucun bien réel pour les travailleurs. Aussi le parti socialiste révolutiounaire n’attend-il rien d’une constitution ; il croit que le peuple n’a rien de bon à espérer des ex-seigneurs : car ceux-ci veulent, en premier lieu, sous prétexte d’égalité des propriétaires fonciers, entrer dans l’administration des communes rurales[1], pour tenir ainsi le paysan entre leurs mains ; en second lieu, ils demandent l’abolition de la possession communale du sol, de l’inaliénabilité de la terre, et veulent que la terre du mir soit partagée entre les paysans, à titre de propriété individuelle, susceptible d’être vendue... Je conclus donc que la constitution serait bien à craindre, car, dans le cas où l’Assemblée constituante exercerait une autorité sérieuse, l’abolition de l’inaliénabilité de la terre serait décrétée, et par conséquent le peuple serait définitivement ruiné. » — En mars, « P. » nous décrivit la triste situation de la presse russe, muselée et persécutée : « Mais — ajoutait-il — plus on opprime la presse en Russie, et plus, dans le reste de l’Europe, la presse en langue russe prend un large essor et devient radicale et révolutionnaire. Nous avons une revue socialiste paraissant à Londres sous le titre de En avant (Vpered) : puis deux journaux, l’un paraissant à Londres sous le même titre que la revue, et l’autre paraissant à Genève sous le titre de Travailleur (Rabotnik). Dans le courant de l’année dernière ont paru les livres suivants : Le principe autoritaire et le principe anarchique (Gosoudarstvennost i Anarkhia), L’anarchie d’après Proudhon (Anarkhia po Proudonou), La Commune de Paris, L’histoire d’un paysan français (c’est le récit d’Erckmann-Chatrian refait à l’usage du peuple russe), et quelques brochures de la même tendance, la Mécanique rusée, Un conte sur quatre frères, etc. »

En mai 1875, le Vpered publia (et le Bulletin reproduisit, 23 mai) une circulaire secrète du comte Pahlen, ministre de la justice, aux procureurs, du 7-19 janvier 1875, leur signalant le péril croissant que des « menées criminelles » faisaient courir « à la religion, à la morale et à la propriété » ; Pahlen constatait que « le mal avait jeté des racines si profondes, qu’il n’était pas probable que les poursuites judiciaires seules pussent suffire pour en avoir complètement raison » ; il se lamentait sur l’aveuglement des parents, « qui avaient jeté leurs enfants, faute de surveillance, dans le domaine du nihilisme », et des indifférents, qui allaient jusqu’à blâmer le gouvernement de sa sévérité ; « il est donc urgent — déclarait-il — que tous les éléments bien intentionnés s’unissent, avant qu’il ne soit trop tard, dans le but de résister à l’influence et à la diffusion de ces principes nuisibles et destructeurs ».

Une autre lettre de Zaytsef (20 juin) énuméra les mesures répressives adoptées par le gouvernement, et raconta quelques-unes des atrocités commises par les subordonnés du comte Pahlen contre leurs victimes. Je continuerai, au chapitre suivant, à citer, à mesure que le Bulletin les publiait, les traits du martyrologe des révolutionnaires russes qui parvenaient jusqu’en Occident.


En Serbie, dans ce pays encore placé, à ce moment, sous la suzeraineté de la Turquie, on signalait aussi un mouvement socialiste. La police avait découvert des exemplaires d’une brochure révolutionnaire en langue serbe, qui recommandait « d’exterminer le plus tôt possible tous les monarques et tous les prêtres, et d’établir sur les ruines de l’ancienne société la Fédération des communes libres ». Ainsi, disait le Bulletin (9 mai), « les idées révolutionnaires, telles que les ont formulées les Congrès de l’Internationale et les combattants de la Commune de Paris, ont fait leur chemin jusque dans des pays que notre bourgeoisie a l’habitude de regarder comme encore à demi-barbares ».

  1. À l’heure qu’il est, la commune des paysans (le mir) forme un corps à part, les propriétaires appartenant à d’autres classes n’en font pas partie. (Note du Bulletin.)