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paraît être revenu de Russie, — s’il y est allé : il l’écrit du moins[1]. Voici la traduction fidèle de sa lettre : [Suit la traduction d’un billet de Ross, daté de Zürich, 6 décembre, disant : « Hier, je suis retourné de mon voyage, terriblement fatigué et malade. Mais voici ce que je viens d’apprendre ici : on dit que tu es malade, même à la mort. Réponds-moi, ne fût-ce que par un mot, si cela ne te fatigue pas trop. Quand j’aurai reçu de toi ne fût-ce qu’un mot, je t’écrirai longuement : j’ai tant de choses à te dire. J’ai reçu ta lettre si pleine de reproches[2]. Je dois te dire que je ne me reconnais pas coupable. Tout cela dépend du point de vue auquel on se place ; mais de tout cela nous parlerons plus tard. De grâce, envoie-moi au plus vite de tes nouvelles. Je t’embrasse. A. Ross. »] Ma première pensée fut de ne pas répondre ; mais ensuite, après y avoir pensé, voici ce que je lui ai répondu : [Suit la copie de la réponse, où Bakounine dit sèchement : « Je n’ai pas été malade, au contraire, je me porte mieux que jamais, grâce à mon séjour tranquille et consolant à Lugano, loin de toutes les détestables intrigues et des intrigants détestables. Je travaille tant que je peux et fais tout ce qu’il est possible de faire dans les circonstances actuelles tant générales que personnelles. M. Bak. »] Nous verrons s’il aura le front de m’écrire... »

Bellerio répond le 17 décembre. Il annonce que la démarche tentée par lui auprès de Félix Rusca ayant échoué, il s’est décidé à parler à Cafiero, « et celui-ci m’a dit se souvenir parfaitement d’avoir à Neuchâtel consenti à te faire un prêt, même de trois mille francs » ; mais pour le moment, avait ajouté Cafiero, cela lui était impossible : M. de Martino (?) devait lui apporter de l’argent, qu’il attendait avec impatience. Et Bellerio fait observer que cette réponse « était un peu prévoyable, puisque la demande n’était peut-être pas convenable ». La lettre se termine ainsi : « Tu désires savoir la vie que l’on mène à la Baronata ?... Carlo s’est tout à fait adonné à la vie champêtre et pastorale. Salue Nabruzzi. »

Bakounine, qui se trouve dans la plus grande gêne, écrit de nouveau le 19 : «... Les circonstances sont telles que je suis forcé de te tourmenter encore une fois... Je t’avais demandé 1000 fr., ou même 1200 : avec cette somme, à l’aide de l’argent que nous a laissé Sophie [Lossowska] et dont nous percevons les intérêts, j’aurais tout arrangé pour plusieurs mois d’avance. Mais enfin, cette somme ne se trouve pas. Ne pourrais-tu pas me procurer un emprunt de 600 ou même de 500 fr. à quatre mois de terme ? Parles-en avec Rémi Chiesa, je te prie, auquel j’écris par le même courrier ; seulement, je te prie, caro, n’en parle qu’à lui : ces sortes d’embarras et d’affaires n’aiment pas le bruit... Dans quelques mois, cet été, je serai sorti tout à fait de l’impasse dans laquelle je me trouve encore maintenant. Je respirerai alors avec pleine liberté. Telles sont mes espérances, non illusoires, mais bien fondées. Jusque-là, patience... Sophie se trouve maintenant à Saint-Pétersbourg, où elle s’occupe de mon affaire...; elle reviendra ici au commencement de mars, et j’ai tout lieu d’espérer que, comme une sorte d’à-compte sur le capital que j’ai à recevoir de mes frères, elle m’apportera une somme assez considérable, — sans parler de ses propres affaires qui vont magnifiquement... »

Mme  Sophie Lossowska, ayant quitté Lugano à la fin de novembre, était allée en effet à Pétersbourg d’abord. De là elle se rendit à Priamoukhino, auprès des frères de Bakounine. « Elle s’est complètement et même facilement entendue avec eux », écrit Bakounine à Bellerio le 10 janvier 1875 ; les frères avaient expliqué qu’ils ne pourraient pas donner d’argent, n’en ayant pas : mais ils offrirent de céder à leur aîné le droit d’abattre une forêt ; cette coupe de bois, si elle était faite dans des conditions convenables, pourrait produire au bas mot cent mille roubles (lettre de Mme  Bakounine). Mais il fallait attendre quelque temps, peut-être quelques mois, pour la réalisation de la vente.

On vient de voir que Bakounine avait écrit à Ross, le 9 décembre, quelques

  1. Ross avait fait un voyage en Russie en novembre 1874.
  2. Celle du 21 octobre 1874, que Dragomanof a publiée.