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ses promesses ; et les ouvriers, privés de toute action propre, ne pourront exercer aucun contrôle sérieux, ne pourront pas forcer la main à la bourgeoisie lorsque celle-ci refusera de s’exécuter.

Envisageons maintenant l’autre alternative.

Les ouvriers se sont organisés partout en sociétés de métiers. Ces sociétés se sont groupées en fédérations corporatives, et ces fédérations, à leur tour, se sont fédérées entre elles, couvrant le pays d’un vaste réseau. C’est l’armée du travail, une armée qui, une fois aguerrie et disciplinée, est en état de tenir tête à la bourgeoisie et de lui dicter ses volontés.

Lorsque cette organisation est réalisée, quelle est la marche à suivre pour obtenir des réformes sociales ? Les ouvriers ont-ils besoin de s’adresser en humbles pétitionnaires à l’autorité législative, pour la prier de les prendre sous sa protection ? Nullement. S’ils veulent raccourcir la journée de travail, ils signifient à leurs patrons leur volonté, et, la résistance à l’armée du travail étant impossible, les patrons sont forcés de céder. S’agit-il d’augmenter les salaires, de prendre des mesures concernant le travail des femmes et des enfants, etc. ? On emploie le même moyen : au lieu d’avoir recours à l’État, qui n’a de force que celle que les ouvriers lui donnent, les ouvriers règlent directement l’affaire avec la bourgeoisie[1], lui posent leurs conditions, et, par la force de leur organisation, la contraignent de les accepter.

Résumé : Pour qu’une loi en faveur des ouvriers ne reste pas lettre morte, et qu’elle soit réellement exécutée, il faut que les ouvriers disposent d’une force capable d’en assurer l’exécution.

Pour acquérir cette force, les ouvriers doivent s’organiser en sociétés de métier fédérées entre elles.

Mais, une fois cette organisation faite et cette force acquise, les ouvriers n’ont plus besoin de réclamer la protection de la loi bourgeoise : ils sont devenus une puissance, ils peuvent se faire justice eux-mêmes.


Les Grutléens n’étaient pas d’accord entre eux sur le nombre d’heures auquel devait être limitée la journée normale de travail : leur Comité central s’était prononcé en faveur de la journée de onze heures ; les sections des cantons de Genève et de Neuchâtel réclamèrent, et déclarèrent que le Grütli devait faire campagne pour la journée de dix heures ; sur quoi, un groupe de sections de la Suisse allemande, qui appuyait le Comité central, proposa l’expulsion du Grütli de tous les socialistes.

Le rédacteur du Grütlianer, M. Bleuler-Hausheer, dans le numéro du 18 novembre 1874 de ce journal, publia une sorte de manifeste destiné à rallier autour d’un programme positif ceux des Grutléens qui étaient opposés à la marche réactionnaire du Comité central. Il caractérisait très justement les tendances de ces prétendus patriotes qui, pour empêcher les ouvriers suisses de s’occuper de la question sociale, leur parlent sans cesse des libertés du peuple suisse et de l’excellence de ses institutions, en flattant la vanité nationale pour détourner les travailleurs de tout contact avec leurs frères des pays voisins. « Les socialistes dans la Société du Grütli déclarait-il, pensent qu’il n’y a pas de question ouvrière nationale, de question ouvrière suisse, allemande ou française, mais qu’il y a un malaise social général, et qu’il n’existe qu’une

  1. On voit que la méthode recommandée par nous était celle de l’action directe, — une formule qui a fait fortune depuis.