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Il s’agissait d’une proposition déposée par les députés socialistes, tendant à la mise en liberté, pendant la durée de la session, des trois députés Bebel, Hasenclever et Most ; Liebknecht avait déclaré que le Reichstag avait à choisir entre deux alternatives : Réforme ou Révolution ; et il avait montré, par des exemples historiques empruntés à l’Angleterre et à la France, que « lorsque la soupape de sûreté n’est pas ouverte à temps, lorsque les libertés nécessaires ne sont pas accordées, la machine saute » ; qu’en France, la compression avait abouti à la Révolution, tandis qu’en Angleterre, où le prolétariat possédait la liberté politique et le droit de réunion, on pouvait procéder par des réformes pacifiques[1] ; Bismarck, répondant à Liebknecht, « avait parlé en vrai style de palefrenier : de la brutalité rehaussée de plaisanteries de corps de garde ». Hasselmann, alors, avait déclaré « que les débats du Reichstag n’étaient qu’une comédie », et, parlant de la Commune de Paris, il en avait glorifié les défenseurs, en ajoutant que, pour lui, dans un cas semblable, il en ferait autant. Naturellement, la proposition n’avait recueilli qu’une dizaine de voix ; « pendant les discours des députés socialistes, les députés bourgeois se tordaient les côtes de rire, et les facéties de gendarme du prince de Bismarck ont été accueillies par des bravos frénétiques ». Le Bulletin rappelait qu’en France, on avait ri, sous l’Empire, au Corps législatif : mais « les députés bonapartistes qui se roulaient sur leurs bancs, en 1869, ont été balayés par le peuple en 1870. En Allemagne aussi, rira bien qui rira le dernier. » Et ensuite, résumant notre opinion sur la présence des socialistes dans une assemblée parlementaire, j’écrivais ceci :


Des discussions du genre de celle qui vient d’avoir lieu au Reichstag sont-elles utiles à la cause socialiste ? Oui, nous n’hésitons pas à le dire, nous les croyons utiles.

Il est utile que des délégués du peuple aillent dans les assemblées du privilège et du capital, pour dénoncer à ces assemblées la nullité de leurs actes ; il est utile que la masse soit éclairée sur l’impuissance du parlementarisme ; il est utile que, bravant la rage de ses ennemis, le socialisme allemand affirme, devant la moustache de M. de Bismarck, le droit à la Révolution, et la solidarité des ouvriers d’Allemagne avec les combattants de la Commune de Paris.

Cette opinion, nous l’avons toujours exprimée. Lorsque nos amis parisiens envoyèrent Rochefort au Corps législatif, avec le mandat d’y cracher à la figure de Bonaparte, nous avons applaudi. Lorsqu’ils envoyèrent Malon et Tolain à l’Assemblée de Bordeaux pour y protester contre les traîtres du 4 septembre, nous avons applaudi encore. La protestation faite, Malon a pensé qu’il n’avait plus rien à faire dans une assemblée bourgeoise : il s’est retiré, et nous l’avons approuvé. Tolain, lui, est resté, et l’Europe entière l’a flétri du nom de renégat.

Ce que nous blâmons, ce que nous repoussons, ce sont ces candidatures ouvrières qui se produisent avec le but avoué, non de faire à l’ennemi une guerre irréconciliable, mais de jouer le rôle d’une opposition constitu-

  1. Le Bulletin fit des réserves sur la théorie présentée par Liebknecht. Il montra que les revendications du prolétariat de France et celles du prolétariat d’Angleterre étaient de nature très différente : « Le prolétariat français a toujours posé des revendications radicales, qui forcément appelaient la bataille. Le prolétariat anglais, par contre, s’est contenté jusqu’à présent de quelques améliorations partielles ; mais, le jour où il descendra dans l’arène avec un programme semblable à celui des ouvriers de Paris, il y aura révolution en Angleterre aussi, et non plus réforme pacifique et légale. »