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en juillet 1874. Une section se reconstitua à Vevey en août 1874[1] : « C’est avec joie, dit quelques semaines plus tard le Bulletin, que nous avons vu un groupe d’ouvriers relever dans cette ville le drapeau du socialisme ; Vevey avait possédé jadis une Section florissante, mais les événements de 1870 et 1871 avaient mis fin à son existence ; espérons que la nouvelle Section veveysanne deviendra un actif foyer de propagande sur les bords du Léman ». Par contre, la Section de propagande de Genève, à la suite d’un conflit avec le Comité fédéral, qui avait refusé la publication au Bulletin d’une lettre polémique, se retira de la Fédération jurassienne en juillet.

Le Congrès jurassien d’avril avait voté une résolution portant que « des réunions de plusieurs sections, organisées pendant l’été, comme cela se pratiquait il y a quelques années, sont très désirables pour resserrer les liens d’amitié et faciliter la propagande ». Une première réunion eut lieu à Fontaines (Val de Ruz) le dimanche 5 juillet : les Sections de Saint-Imier, Sonvillier, Berne, Neuchâtel, la Chaux-de-Fonds et le Locle y étaient représentées ; on y discuta deux questions qui avaient été proposées pour être mises à l’ordre du jour du prochain Congrès général : l’organisation des services publics dans la société future, et l’attitude politique du prolétariat. Une seconde réunion eut lieu à Saint-Imier le dimanche 9 août : ce fut un meeting de propagande, qui avait attiré une affluence considérable d’ouvriers ; le Bulletin (16 août) en rend compte en ces termes : « Après quelques paroles d’Ali Eberhardt, disant les motifs qui avaient engagé la Section de Saint-Imier à convoquer cette assemblée, un discours d"Adhémar Schwitzguébel, expliquant le but et les moyens d’action de l’Internationale, ouvrit la discussion... Le citoyen Beslay parla ensuite sur l’organisation du crédit, et développa les bases sur lesquelles il croit possible d’organiser, dès à présent, l’escompte et l’échange, de manière à mettre le capital à la disposition des travailleurs. Les idées du citoyen Beslay furent combattues par James Guillaume, qui expliqua ce que l’Internationale entend par propriété collective, et chercha à démontrer que la révolution sociale était nécessaire et inévitable. Paul Brousse fit la critique des institutions politiques ; Pindy raconta l’histoire de l’Internationale en France, et montra la part qui lui revient dans la Commune de Paris ; Floquet parla sur les grèves ; Auguste Spichiger montra les illusions que se font les ouvriers qui croient pouvoir s’émanciper en devenant bourgeois. Un orateur radical, le citoyen Numa Langel, rédacteur du Jura bernois, prit la parole pour déclarer qu’en principe il était d’accord avec les aspirations de l’Internationale, mais qu’il n’en croyait la réalisation possible que dans plusieurs siècles ; selon lui, ce que les travailleurs ont de mieux à faire, pour le moment, c’est de chercher à faire passer dans les assemblées législatives quelques représentants qui s’efforceront d’apporter des améliorations aux lois et de procurer ainsi à l’ouvrier quelques soulagements, en attendant l’heure de son émancipation définitive. Un ouvrier horloger de Saint-Imier, le compagnon Louis Cartier, se chargea de répliquer à cet orateur, dans un discours humoristique, dont la forme pittoresque et les idées pleines de bon sens enlevèrent les applaudissements de l’assemblée. Il serait à souhaiter que dans toutes les réunions populaires il se trouvât ainsi des hommes qui, parlant le langage de l’atelier et appelant crûment les choses par leur nom, vinssent ajouter, aux raisonnements abstraits des théoriciens socialistes, des commentaires puisés dans la chronique locale et qui rendent vivantes et saillantes aux yeux de chacun les vérités que l’Internationale propage et défend. Le meeting se termina à cinq heures, et l’assemblée se

  1. Élisée Reclus, après la mort de sa seconde femme (au commencement de 1874), avait quitté Lugano et s’était installé avec ses deux filles à Clarens, près de Vevey. Les procès-verbaux du Comité fédéral jurassien nous le montrent, au commencement de juillet 1874, payant sa cotisation annuelle (1 fr. 50) de membre « central » de la Fédération jurassienne. Ce n’est pas lui qui fut l’initiateur de la reconstitution de la Section de Vevey, où on voyait militer de nouveau l’excellent Samuel Rossier, l’un des délégués au Congrès de la Chaux-de-Fonds en 1870 ; mais il s’y fit admettre peu de temps après.