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à la presqu’île Ducos par les condamnes aux travaux forcés, Roques, Urbain, Paschal Grousset, etc.

Les tentatives de propagande bonapartiste à l’adresse du prolétariat français continuaient, sans trouver d’écho. En août 1873, Albert Richard avait lancé de Gênes, au nom d’une soi-disant Union française des amis de la paix sociale, un manifeste signé de lui et adressé « au bon sens des travailleurs français » ; il y disait que, « de même que les républicains avaient sacrifié le socialisme pour avoir la République, il avait, lui, sacrifié la République pour avoir le socialisme ». D’autre part, Aubry, de Rouen, réfugié à Bruxelles, et gagné lui aussi au bonapartisme, envoyait à l’Internationale, sous le pseudonyme de G. Durand, des correspondances perfides, qu’il datait de Paris et où l’alliance des ouvriers avec les bonapartistes était prêchée au nom de « l’union de tous les fils de la Révolution ». Aussitôt le Bulletin (18 octobre) adressa une question à ce sujet à la rédaction de l’Internationale, espérant que celle-ci désavouerait son correspondant. Mais une nouvelle correspondance de « G. Durand » fut publiée (26 octobre), qui faisait encore l’éloge du pacte bonapartiste prôné par l’Avenir national de Paris ; alors le Bulletin écrivit (2 novembre) :


Notre dignité nous commande d’adresser à la Fédération belge et à son Conseil fédéral une interpellation publique. Les internationaux belges approuvent-ils, oui ou non, les doctrines prêchées par le correspondant parisien de l’Internationale ? Il n’est pas possible de garder le silence dans une circonstance pareille. Il faut parler, il faut flétrir hautement des infamies faites pour inspirer à tout honnête homme le plus profond dégoût.

C’est au nom du pacte de solidarité conclu entre les fédérations régionales, solidarité qui, en nous créant des devoirs, nous donne aussi des droits, que nous demandons aux ouvriers belges une manifestation publique pour dissiper la déplorable équivoque que fait planer sur eux le langage du correspondant de l’Internationale.

Cette équivoque a été promptement exploitée par nos adversaires. Un journal allemand, le Volksstaat, qui dirige depuis trois ans contre nous des calomnies dont l’odieux n’est égalé que par le ridicule, s’est emparé avidement d’un si beau prétexte ; et, rendant tous les socialistes anti-autoritaires — tous les bakounistes, comme il dit dans son style haineux et personnel — solidaires de la bêtise ou de la trahison d’un correspondant, il déclare carrément que, pour les anti-autoritaires, la révolution c’est le bonapartisme[1].

Le Volksstaat sait qu’il ment ; mais les ouvriers allemands le croient sur parole, et, grâce à ses manœuvres malpropres, qui sont un véritable crime envers la cause du travail, l’abîme entre le prolétariat de l’Allemagne et celui des autres pays se creusera toujours davantage.


Le Mirabeau, de Verviers, qui avait reproduit une des correspondances de « G. Durand », publia une déclaration du Conseil fédéral de la vallée de la Vesdre, répudiant toute alliance avec un parti politique quelconque, et réimprima l’article du Bulletin du 2 novembre ; le Conseil fédéral de la fédération liégeoise fit la même déclaration dans l’Ami du peuple de Liège. Mais le Conseil fédéral belge, lui, fit imprimer dans son organe l’Internationale l’étrange déclaration suivante :

« La Fédération belge n’assume nullement la responsabilité des idées émi-

  1. Volksstaat du 19 octobre 1873, 2e page, 1re colonne, ligne 8 : « Pour ces bakounistes, révolution et bonapartisme sont donc chose identique (Révolution ist also diesen Bakunisten identisch mit Bonapartismus) ».