Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veloppement et lutter contre toute une série d’obstacles. La république fournissait le moyen de traverser ces phases le plus rapidement possible[1], et d’écarter plus vite ces obstacles. Mais pour cela il fallait que le prolétariat espagnol se lançât résolument dans la politique. La masse des ouvriers le sentait bien ; partout elle demandait que l’on prît part à ce qui se passait, que l’on profitât des occasions d’agir, au lieu de laisser, comme précédemment, le champ libre aux intrigues des classes possédantes. Le gouvernement ordonna des élections pour les Cortès constituantes. Qu’allaient faire les alliancistes[2] ? Ils avaient prêché depuis des années qu’on ne devait prendre part à aucune révolution qui n’aurait pas pour but l’émancipation immédiate des travailleurs ; que toute action politique était une acceptation du principe de l’État, source de tout mal, et que la participation à une élection était un péché mortel[3]. »

Voilà qui est clair : les marxistes n’ont pas pour but l’émancipation immédiate du prolétariat ; ils ne la croient pas réalisable ; ce qu’ils rêvent, c’est une phase intermédiaire, dans laquelle les travailleurs ne seraient pas encore émancipés, mais où, par contre, le pouvoir politique, enlevé à ses possesseurs actuels, aurait passé aux mains de Marx et de ses amis. Et nous, qui ne voulons faire de révolution qu’à la condition de réaliser l’émancipation immédiate et complète du travail[4], nous qui ne voulons pas plus de la domination de Messieurs les socialistes autoritaires que de celle de la bourgeoisie, on nous traite de fous, d’idiots ou de lâches ; bien heureux quand on ne nous appelle pas bonapartistes, comme l’autre jour[5].

Venant ensuite au récit des événements qui se sont passés dans chaque ville d’Espagne, et commençant par Barcelone, M. Engels attribue l’inaction des ouvriers de cette ville à l’attitude des anciens membres de la Alianza : ce sont eux qui ont empêché les ouvriers de Barcelone d’agir ! Voilà ce qu’on ose imprimer dans le Volksstaat pendant que tout le monde sait qu’à Barcelone les seuls qui aient agi, et agi les armes à la main, ce sont précisément les anciens membres de la Alianza ; ainsi c’est le compa-

  1. Puisqu’il s’agit, d’après les premières lignes du paragraphe, du degré de développement de l’industrie, on se demande en quoi la république peut influer sur le plus ou moins de durée de phases économiques, dont l’évolution n’a rien à voir avec la forme du gouvernement ?
  2. C’est ainsi que M. Engels et ses amis appellent les internationaux espagnols. (Note du Bulletin.)
  3. Ceci, comme le savent tous ceux qui ont lu les deux volumes précédents, est absolument contraire à la vérité. Pour mon compte, j’avais écrit en février 1811 : « Ce qu’il faut combattre, c’est l’idéal des communistes allemands, ce fameux Volksstaat. Ils veulent la candidature ouvrière pour arriver au Volksstaat. Pour moi, je suis prêt à accepter les candidatures ouvrières, mais à la condition qu’elles nous mènent à l’an-archie. Or, en ce moment, en France, elles ne peuvent avoir que cette dernière signification. » (T. II, p. 128.) Y eut-il un seul « allianciste » qui se déclarât opposé à la participation aux élections pour la nomination des membres de la Commune de Paris ? On verra un peu plus loin (p. 164) ce que j’écrivais, dans le Bulletin du 21 septembre 1873, au sujet de l’emploi du vote politique en Suisse même.
  4. Par la grève générale. Et justement, dans son premier article, Engels ridiculise l’idée de la grève générale, dont il dit : « La grève générale est, dans le programme bakouniste, le levier qui doit être appliqué pour amener la révolution sociale... La proposition est loin d’être nouvelle ; des socialistes français, et, après eux, des socialistes belges ont, depuis 1848, chevauché avec prédilection cette monture de parade. »
  5. Volksstaat du 19 octobre 1873. Voir plus loin, p. 160.