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chemin dont les tentatives dictatoriales de M. Marx avaient manqué de la faire dévier.

Les deux Congrès qui viennent d’avoir lieu à Genève ont été une démonstration triomphante, décisive, de la justice et en même temps aussi de la puissance de votre cause.

Votre Congrès, celui de la liberté, a réuni dans son sein les délégués de toutes les fédérations principales de l’Europe, moins l’Allemagne ; et il a hautement proclamé et largement établi, ou plutôt confirmé, l’autonomie et la solidarité fraternelle des travailleurs de tous les pays. Le Congrès autoritaire ou marxiste, composé uniquement d’Allemands et d’ouvriers suisses, qui semblent avoir pris la liberté en dégoût, s’est efforcé vainement de rapiécer la dictature brisée et désormais ridiculisée de M. Marx.

Après avoir lancé beaucoup d’injures à droite et à gauche, comme pour bien constater leur majorité genevoise et allemande, ils ont abouti à un produit hybride qui n’est plus l’autorité intégrale, rêvée par M. Marx, mais qui est encore moins la liberté[1], et ils se sont séparés profondément découragés et mécontents d’eux-mêmes et des autres. Ce Congrès a été un enterrement.

Donc votre victoire, la victoire de la liberté et de l’Internationale contre l’intrigue autoritaire, est complète. Hier, alors qu’elle pouvait paraître encore incertaine, — quoique, pour mon compte, je n’en aie jamais douté, — hier, dis -je, il n’était permis à personne d’abandonner vos rangs. Mais aujourd’hui que cette victoire est devenue un fait accompli, la liberté d’agir selon ses convenances personnelles est rendue à chacun.

Et j’en profite, chers compagnons, pour vous prier de vouloir bien accepter ma démission de membre de la Fédération jurassienne et de membre de l’Internationale.

Pour en agir ainsi j’ai beaucoup de raisons. Ne croyez pas que ce soit principalement à cause des dégoûts personnels dont j’ai été abreuvé pendant ces dernières années. Je ne dis pas que j’y sois absolument insensible ; pourtant je me sentirais encore assez de force pour y résister, si je pensais que ma participation ultérieure à votre travail, à vos luttes, pouvait être de quelque utilité au triomphe de la cause du prolétariat. Mais je ne le pense pas.

Par ma naissance et par ma position personnelle, non sans doute par mes sympathies et mes tendances, je ne suis qu’un bourgeois, et, comme tel, je ne saurais faire autre chose parmi vous que de la propagande. Eh bien, j’ai cette conviction que le temps des grands discours théoriques, imprimés ou parlés, est passé. Dans les neuf dernières années, on a développé au sein de l’Internationale plus d’idées qu’il n’en faudrait pour sauver le monde, si les idées seules pouvaient le sauver, et je défie qui que ce soit d’en inventer une nouvelle.

Le temps n’est plus aux idées, il est aux faits et aux actes. Ce qui im-

  1. Il s’agit de décisions qui avaient quelque peu diminué les pouvoirs accordés au Conseil général à la Haye ; Marx y fait allusion dans sa lettre du 27 septembre (voir ci-dessus, p. 137). Mais, comme on l’a vu, le Congrès de Philadelphie, en avril 1874, allait refuser d’admettre ces tempéraments, en déclarant qu’il ne reconnaissait comme obligatoires que les décisions du Congrès de la Haye.