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dénonciation de gendarme, contre une société connue sous le nom de l’Alliance. Entraîné par sa haine furieuse, M. Marx n’a pas craint de s’appliquer à lui-même un soufflet, en assumant publiquement le rôle d’un agent de police délateur et calomniateur. C’est son affaire, et, puisque ce métier lui convient, qu’il le fasse. Et ce n’est point pour lui répondre que je ferai exception à la loi de silence que je me suis imposée.

Aujourd’hui toutefois, messieurs, je crois devoir faire cette exception pour repousser des mensonges, ou, pour parler un langage plus parlementaire, des erreurs qui se sont glissées dans les colonnes de votre journal.

Dans votre numéro du 14 septembre, qu’il m’a été impossible de me procurer, vous avez reproduit, me dit-on, la correspondance d’une feuille de Paris, la Liberté ou le Journal des Débats, dans laquelle un monsieur anonyme affirme effrontément m’avoir entendu avouer — que dis-je ? me vanter — d’avoir été la cause de toutes les convulsions révolutionnaires qui agitent l’Espagne. C’est tout simplement stupide ! Autant vaudrait dire que j’ai causé toutes les tempêtes qui dans le courant de cette année ont désolé l’océan et la terre.

À force de me calomnier, ces messieurs finiront par me déifier.

Ai-je besoin de vous assurer que je n’ai jamais tenu des propos pareils ? Je suis même certain de n’avoir jamais rencontré ce monsieur, et je le défie de se nommer et de désigner même le jour et le lieu où nous nous serions rencontrés.

Mais vous-mêmes, messieurs, dans le numéro du 19 de votre journal, vous m’attribuez des écrits à la publication desquels je suis étranger[1]. Aussi me permettrai-je de vous adresser une prière que votre justice ne saurait repousser. Une autre fois, quand vous voudrez m’accorder l’honneur de vos attaques, ne m’accusez plus que pour des écrits qui sont signés de mon nom.

Vous l’avouerai-je ? tout cela m’a profondément dégoûté de la vie publique. J’en ai assez, et, après avoir passé toute ma vie dans la lutte, j’en suis las. J’ai soixante ans passé ; et une maladie de cœur, qui empire avec l’âge, me rend l’existence de plus en plus difficile. Que d’autres plus jeunes se mettent à l’œuvre ; quant à moi, je ne me sens plus ni la force, ni peut-être aussi la confiance nécessaires pour rouler plus longtemps la pierre de Sisyphe contre la réaction partout triomphante. Je me retire donc de la lice, et je ne demande à mes chers contemporains qu’une seule chose, l’oubli.

Désormais, je ne troublerai plus le repos de personne ; qu’on me laisse tranquille à mon tour.

Ai-je trop présumé de votre justice, messieurs, en espérant que vous ne refuserez pas l’insertion de cette lettre ?

Michel Bakounine.

  1. Il s’agit d’un écrit russe intitulé Postanovka revolioutsionnago voprosa, « Manière de poser la question révolutionnaire », 4 p. in-8o, publié sans nom d’auteur en 1869, et qui est de Netchaïef. Le Journal de Genève du 19 septembre 1873 en avait reproduit, en les attribuant à Bakounine, quelques passages empruntés à la brochure L’Alliance de la démocratie socialiste, etc., pages 64-65. — Sur cet écrit, consulter Nettlau, p. 451, et ensuite p. 454.