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obligatoires, jusqu’au prochain Congrès général, que les décisions du Congrès de la Haye[1]. »

Mais bientôt on vit la désunion se produire au sein même du Conseil général. En août 1874, Sorge fit la proposition « de suspendre indéfiniment l’activité du Conseil général », et de remettre ses archives entre les mains d’un Comité de trois personnes ; cette proposition ne fut pas adoptée, et alors Sorge résigna ses fonctions de secrétaire général. Engels lui écrivit à ce sujet, le 12 septembre 1874 :

« Avec ta retraite, la vieille Internationale est complètement finie et a cessé d’exister[2]. Et cela est bien ainsi. Elle appartenait à la période du second Empire, où l’oppression qui régnait dans toute l’Europe commandait, au mouvement ouvrier qui se réveillait, l’union et l’abstention de toute polémique… Mais le premier grand succès devait rompre ce naïf rapprochement de toutes les fractions. Et ce succès fut la Commune… Dès que, par la Commune, l’Internationale fut devenue une puissance morale en Europe[3], les querelles commencèrent. Chaque parti voulut exploiter le succès dans son intérêt. Et la ruine s’en suivit nécessairement. La jalousie inspirée par la puissance croissante des hommes qui étaient réellement prêts à continuer à travailler sur l’ancien et large programme des communistes allemands, poussa les proudhoniens belges dans les bras des aventuriers bakounistes. Le Congrès de la Haye marqua réellement la fin, et cela pour l’un comme pour l’autre parti. »

On a déjà vu, et on verra dans le reste de ce livre, si pour nous, fédéralistes, le Congrès de la Haye avait marqué la fin, comme il l’a marquée pour les autoritaires.

Il faut recueillir encore d’autres paroles de Marx et d’Engels, montrant ce qu’il advint de la plupart des hommes qui avaient été leurs instruments à la Haye et qui, ensuite, avaient travaillé à désorganiser l’Internationale en Angleterre et en France. Engels écrivait déjà le 25 novembre 1873 : « Notre Fédération d’ici est très gravement malade de langueur. Il n’y a presque plus moyen de réunir les gens. » Marx écrit le 4 avril 1874 : « Les quelques Français qui avaient fait cause commune avec nous à la Haye se sont presque tous démasqués depuis comme des canailles (Lumpen), en particulier Monsieur Le Moussu[4], qui a escroqué à moi et à d’autres des sommes importantes, et a ensuite essayé de se blanchir par d’infâmes calomnies, en se donnant pour une belle âme méconnue. En Angleterre, l’Internationale peut être regardée comme morte (so güt wie todt). Le Conseil fédéral [marxiste] à Londres n’existe plus que de nom[5]. » Engels écrit le 12 septembre 1874 : « L’émigration française est sens dessus dessous ; ils se sont tous querellés entre eux et avec tout le monde, pour de pures questions personnelles, en général des histoires d’argent, et nous sommes presque complètement débarrassés d’eux. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler ; ils ont la tête pleine de soi-disant inventions qui doivent rapporter des millions, pourvu qu’on leur donne les moyens d’exploiter lesdites inventions, moyens qu’ils évaluent à deux ou trois livres sterling. Mais celui qui est assez sot pour s’y laisser prendre est volé de son argent, et ensuite, par-dessus le marché, décrié comme bourgeois. C’est Le Moussu, parmi eux, qui s’est conduit de la façon la plus dégoûtante ; il s’est révélé un simple escroc. La vie de fainéantise pendant la guerre, la Commune,

  1. Extrait d’un rapport publié par le Volksstaat du 3 juin 1874 et reproduit par le Bulletin du 14 juin 1874.
  2. Dans une autre endroit de cette lettre, Engels dit : « Les querelles survenues à New York, qui ne t’ont pas permis de rester plus longtemps dans le Conseil général, sont à la fois une preuve et une conséquence de ce fait, que l’institution s’était survécue à elle-même ».
  3. Voilà un aveu bon à enregistrer.
  4. Celui que Marx avait fait nommer secrétaire pour l’Amérique, au printemps de 1872, en remplacement d’Eccarius suspendu de ses fonctions.
  5. Dans cette même lettre on lit ce passage à propos de la rédaction du Volksstaat : « Engels a lavé la tête à Liebknecht (hat dem Liebknecht den Kopf gewaschen), ce qui paraît lui être nécessaire de temps en temps ».