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vit fort mal reçu : on refusa de l’entendre, et il se retira en protestant. Grâce à la majorité que Becker avait formée au moyen des mandats Schwarz, la proposition genevoise de transférer le Conseil général à Genève fut rejetée, et les fidèles décidèrent que le Conseil resterait à New York ; ils décidèrent aussi (et en cela ils se montrèrent avisés) que le Conseil général ne convoquerait un nouveau Congrès qu’après deux ans, en 1875, et qu’on renoncerait à essayer d’en réunir un en 1874.

Le Bulletin publia sur cette risible réunion les lignes qui suivent :

« Le Congrès autoritaire de ces Messieurs a eu lieu. Il a même été drôle. Le premier jour, on se demandait avec anxiété si les délégués viendraient, mais, comme sœur Anne, on ne voyait rien venir. Il y avait bien neuf délégués suisses et un délégué allemand, mais on trouvait généralement que cela ne suffisait pas pour faire un Congrès général de toutes les fédérations européennes et américaines de l’Internationale. M. Schwarz est venu heureusement les tirer à moitié d’affaire. M. Schwarz est un homme important : dans les plis de sa robe, il apportait six[1] mandats autrichiens qu’il a charitablement distribués à des Suisses, plus le sien !

« Le Conseil général d’Amérique, à la façon des demi-dieux planant dans les nuages et qui ne descendent pas souvent sur la terre, parmi le profane vulgaire, avait délégué ses pouvoirs au citoyen Serraillier. Mais, à la dernière heure, Messieurs de New York ayant appris que la Fédération romande penchait pour la conciliation avec les Jurassiens, ont retiré à M. Serraillier ses pouvoirs[2], parce qu’ils ne voulaient pas se commettre avec des gens de cette espèce.

« ... Le Conseil général est maintenu, et il siégera à New York. Sept délégués voulaient l’avoir à Genève, et onze l’ont renvoyé par delà l’Océan. M. Schwarz est un homme habile !

«... Enfin, pour le bouquet, on a décidé qu’il faut bien des congrès, mais qu’il n’en faut pas trop. Désormais, un congrès tous les deux ans suffira pour assurer les destinées de l’humanité.

« M. Schwarz est parti ; on ne dit pas s’il a repris ses mandats pour les faire servir la prochaine fois, — dans deux ans ou aux calendes grecques.

« E finita la commedia. »

Et dans le numéro suivant :

« Il était impossible de rêver un fiasco plus complet, une chute plus ridicule. Aussi le Congrès marxiste a-t-il produit à Genève tout l’effet que nous pouvions désirer : il a ouvert les yeux aux plus aveugles sur l’état réel des choses ; il a montré à tous que l’Internationale tout entière, sauf quelques dissidents, se trouve dans le camp fédéraliste. »

On jugera, en lisant ce qu’ont écrit Marx lui-même, Becker et Engels, à propos de cette « comédie », si les sarcasmes du Bulletin doivent être taxés d’exagération et de parti pris.

Marx écrit à Sorge, le 27 septembre 1873 : « Le fiasco du Congrès de Genève était inévitable. Du moment qu’on a su ici qu’il ne viendrait aucun délégué d’Amérique, les choses ont commencé d’aller de travers. On a vu là la preuve que votre Fédération américaine n’existait que sur le papier. La Fédération anglaise était hors d’état de trouver l’argent nécessaire pour envoyer fût-ce un seul délégué. Les Portugais, les Espagnols, les Italiens avaient annoncé qu’ils ne pourraient pas se faire représenter ; d’Allemagne, d’Autriche et de Hongrie, les nouvelles étaient également mauvaises. Quant à la France, il ne pouvait être question de sa participation. Il était donc certain que dans sa grande majorité le Congrès serait composé de Suisses, ou même seulement de Genevois. De Genève même nous n’avions pas de nouvelles ; Outine n’était plus là, le vieux

  1. Lire « douze ou treize. »
  2. C’est là une erreur commise par le Bulletin : le Conseil général de New York n’avait nullement retiré ses pouvoirs à Serraillier ; c’est Marx et Engels qui, au reçu d’une lettre écrite par Henri Perret, décidèrent que Serraillier ne se rendrait pas à Genève (voir ci-dessus, p. 135, et plus loin, p. 138).