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qui paraissait n’être nullement au courant des affaires de l’Internationale, et ne s’être rendu aucun compte de la portée véritable du Congrès[1], ne sut trouver, en réponse à tout ce qui avait été dit au meeting, que des arguments de la force de ceux-ci : « Eccarius s’est prononcé contre le Conseil général par dépit de ne plus en faire partie. On a prétendu que le Conseil général n’existe plus, et cela parce que vingt hommes viennent d’en prononcer ici l’abolition ; ces vingt hommes, qui ne représentent qu’eux-mêmes, n’avaient aucun droit de prendre une résolution semblable : donc le Conseil général continue à exister après comme avant le Congrès de Genève. Enfin, la Fédération jurassienne, qui parle tant des principes de l’Internationale, ne les met pas en pratique ; en effet, elle sait bien trouver de l’argent pour publier des pamphlets, mais, quand il y a des grèves à Cenève, elle n’envoie pas un centime. »

« James Guillaume, relevant cette dernière assertion, répondit à Gutsmann que, pour ce qui concernait la Section qu’il représentait, celle de Neuchâtel, il était vrai qu’en effet elle n’était venue à l’aide d’aucune grève à Genève depuis deux ans, mais qu’elle avait pour cela ses raisons, et les voici [ : suit l’histoire des deux mandats de 50 fr. et de 24 fr. expédiés les 11 et 14 juin 1870 par la Section de Neuchâtel à M. Saulnier, président du comité de la grève du bâtiment, à Genève, mandats dont il n’avait pas été possible d’obtenir un accusé de réception ; voir tome II, p. 42, note]. En présence de faits semblables, et jusqu’à ce qu’on sache à quoi s’en tenir sur la moralité de certains comités genevois, la Section de Neuchâtel a décidé de ne plus envoyer d’argent à Genève.

« Joukovsky, à son tour, rappelle l’attitude des Sections jurassiennes dans diverses grèves genevoises, et fait voir par des faits combien l’assertion de Gutsmann est mensongère et calomnieuse. Lors de la grande grève du bâtiment en 1868, les Sections des Montagnes furent les premières à venir au secours de leurs frères de Genève, et la Section du Locle, à elle seule, réunit la somme de 1500 francs. Plus tard, quand éclata la grève des tuiliers en 1870, les Sections des Montagnes envoyèrent leurs délégués au meeting de Vevey, où, sur la proposition de l’un d’eux, le compagnon Spichiger, une collecte fut organisée séance tenante. Quelques semaines plus tard, à l’occasion de la grève des plâtriers-peintres, bientôt transformée en grève générale du bâtiment, le Comité fédéral des Sections des Montagnes adressa un pressant appel à ces sections pour qu’elles vinssent au secours des ouvriers de Genève ; cet appel fut entendu, et des sommes formant un total considérable furent envoyées ; Guillaume vient de rappeler que la Section de Neuchâtel, qui avait envoyé pour son compte 74 fr., n’a jamais pu obtenir de reçu. Enfin tout dernièrement, et malgré les événements de la Haye, la grève des bijoutiers a été une nouvelle occasion pour plusieurs Sections du Jura de prouver leur solidarité pratique aux ouvriers de Genève, en ouvrant des souscriptions et en s’imposant des cotisations extraordinaires. Quant à ce qu’a dit Gutsmann au sujet d’une réunion de vingt personnes votant l’abolition du Conseil général, c’est tout simplement ridicule. Ces vingt hommes[2] représentent non eux-mêmes, mais tout le prolétariat organisé d’Europe et d’Amérique, à l’exception de quelques groupes dissidents restés fidèles au Conseil général ; ce n’est donc pas une coterie, ce sont les millions de travailleurs formant l’Internationale qui viennent de prononcer, par la voix de leurs délégués, la déchéance de l’autorité ; cette déchéance est irrévocable, et l’autorité est bien définitivement abolie dans l’Internationale.

« L’heure avancée obligea le bureau du meeting à lever la séance justement au moment où la discussion devenait le plus intéressante ; néanmoins nous

  1. Gutsmann — comme plusieurs de nos adversaires de langue allemande, que la calomnie avait momentanément égarés, mais qui finirent par ouvrir les yeux — devait se rapprocher de nous un peu plus tard. On le verra, en août 1876, adresser, au nom des socialistes allemands de Genève, un salut sympathique au Congrès de la Fédération jurassienne à la Chaux-de-Fonds ; et en octobre 1876 il prendra part comme délégué au huitième Congrès général de l’Internationale à Berne.
  2. Il y avait au Congrès vingt-quatre délégués ayant droit de vote.