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drait obtenir ? et croit-il que ceux d’entre nous qui écrivent dans les journaux, qui font des conférences, qui se consacrent à la propagande, ne rendent pas plus de services à l’Internationale qu’ils ne pourraient lui en rendre s’ils voulaient imiter la résolution désespérée du compagnon dont je viens de parler ?

« Enfin, si l’on veut sérieusement examiner où sont les bourgeois dans l’Internationale, n’est-ce pas bien plutôt dans les rangs de certains ouvriers que nous les trouverons ? Il y a des ouvriers, on Suisse, qui gagnent dix et quinze francs par jour, qui portent la redingote et le chapeau haute forme, qui vivent au sein du monde bourgeois dont ils partagent les préjugés ; mais ce sont des travailleurs manuels, et, à ce titre, Perrare leur ouvrira à deux battants les portes de l’Internationale. D’autre part, voici des employés de commerce à cent francs par mois, des professeurs courant le cachet, et gagnant parfois à peine trois francs par jour : ils vivent de leur travail, ils sont exploités comme les ouvriers ; mais ils ne manient pas l’outil, donc ce sont des bourgeois, selon Perrare. Cependant ces derniers seront des révolutionnaires sérieux et dévoués, tandis que l’ouvrier en chapeau haute forme est un franc réactionnaire. La conclusion me paraît claire : je vote pour le maintien de l’article 2 tel qu’il a été adopté en 1866 et que la Commission le propose.

« Manguette. Je désire expliquer ma proposition. Je n’ai pas parlé d’exclure qui que ce soit. On dit que j’ai voulu confiner les bourgeois dans des sections à part. Mais si l’on ne veut pas accepter cette idée, si l’on se refuse à réglementer, il vaut mieux retrancher entièrement l’article, et laisser chaque section libre de procéder comme elle voudra. Les bourgeois ont fait beaucoup de bien dans l’Internationale, mais tout autant de mal ; je crois donc que chaque section devra bien réfléchir avant de les admettre, et que le mieux est de ne rien dire dans les statuts.

« Alerini. On n’a pas encore pu définir au juste ce que c’est qu’un ouvrier. Un ouvrier qui travaille pour son propre compte, qui n’est pas un salarié, n’est pas un exploité, tandis qu’il y a tel « bourgeois » qui est exploité bien plus que la plupart des ouvriers ; et la limite est vraiment si difficile à fixer que. jusqu’à ce qu’on y ait réussi, je demande qu’on laisse l’article tel qu’il est. Que les sections soumettent les « bourgeois » à des épreuves toutes spéciales, c’est naturel ; ainsi, dans les sections espagnoles, on leur demande une déclaration de principes ; il y a une infinité de garanties que l’on peut prendre, et je comprends toutes les réserves ; mais dire que ceux qui appartiennent à la catégorie des travailleurs non manuels ne peuvent pas faire partie de l’Internationale, cela n’est pas juste. L’article du reste ne dit pas : « doivent faire partie de l’Internationale tel et tel », mais seulement « peuvent faire partie ». Le droit des sections d’apprécier en dernier ressort est donc réservé.

« Viñas. En Espagne on a agité aussi cette question : dans trois congrès consécutifs elle a été à l’ordre du jour ; mais on a dû l’abandonner, à cause de la difficulté qu’on a trouvée à définir les mots travailleur et ouvrier ; chacune des définitions proposées excluait telle ou telle catégorie d’exploités, qu’on ne pouvait pas faire rentrer dans les définitions. Si on veut arriver à l’émancipation de tous les exploités, on a besoin de l’aide de tous les exploités ; il y a aujourd’hui des classes d’exploités qui ne sont pas comprises dans la signification donnée ordinairement au mot travailleur : ainsi les grooms, les domestiques, les suisses, ne créent pas un produit échangeable, et sont cependant des exploités. Nous ne pouvons pas accepter le concours de la bourgeoisie comme classe ; mais si quelques individus, convaincus de la justice de notre cause, viennent à nous, qu’on ne les repousse pas. Qu’on ait des défiances envers eux, c’est possible ; qu’on les surveille, c’est même nécessaire ; mais qu’on laisse aux