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celles-ci de s’occuper, comme telles, de politique nationale ; il faut donc que les ouvriers suisses créent, à côté des corporations, des associations spécialement politiques.] Comme on le voit, ce n’est pas là le moins du monde une élimination de l’action politique. Au contraire. On se borne à constater que les ouvriers suisses, qui seuls jouissent de droits politiques (!), ne forment que la moitié de la population ouvrière ; on regrette que les ouvriers d’autres nationalités soient privés de ces droits et se voient en conséquence obligés de se limiter à l’action corporative ; et on recommande chaleureusement aux ouvriers suisses, à ces heureux privilégiés, de ne pas négliger de profiter de leurs droits et de s’occuper activement de la politique nationale.

De quel genre sera cette politique recommandée aux ouvriers suisses ? L’assemblée spéciale tenue le dimanche après-midi pour s’occuper de cet objet nous a édifiés là-dessus. L’assemblée avait lieu sous les auspices du Grütli, c’est tout dire ; le programme politique qu’elle a adopté se résume ainsi dans ses tendances générales : centralisation politique toujours plus grande, c’est-à-dire extension de la compétence de la Confédération au détriment de l’autonomie des cantons, et par conséquent centralisation militaire, centralisation de l’instruction publique ; et, en fin de compte, abolition complète du système fédératif par la suppression du Conseil des États[1], et établissement de la République unitaire.

Voilà le programme politique acclamé par les ouvriers socialistes de la Suisse allemande !

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Il est encore un autre sujet que nous avons traité dans des conversations particulières avec des internationaux de la Suisse allemande. La plupart d’entre eux sont dans une ignorance absolue de ce qui s’est passé depuis le Congrès de la Haye. L’un d’eux nous a affirmé, toujours avec cette assurance imperturbable que donne une supériorité intellectuelle incontestée, que les Jurassiens étaient complètement isolés dans l’Internationale ; que l’Amérique entière, l’Angleterre entière, la Hollande entière, la Belgique entière, la France entière, l’Espagne et l’Italie sauf quelques dissidents, reconnaissaient l’autorité du Conseil général. Nous avons inutilement cherché à désabuser ce candide citoyen ; il est resté persuadé que les Jurassiens étaient dupes de la rédaction de leur Bulletin, qui leur faisait prendre des vessies pour des lanternes et qui inventait à leur usage des Congrès belges, espagnols, anglais et italiens qui n’ont jamais existé.

Le citoyen Greulich lui-même, rédacteur de la Tagwacht, nous a paru assez mal renseigné sur ce qui se passe. Lorsque nous lui avons dit que le citoyen Eccarius assistait au Congrès de la Haye comme délégué et qu’il avait voté avec la minorité contre les pouvoirs du Conseil général, il a témoigné la plus grande surprise et a eu beaucoup de peine à nous en croire sur parole. Nous lui avons dépeint, d’après nos renseignements, l’état actuel des diverses Fédérations, ce qui ne l’a pas moins étonné ; et nous l’avons cordialement invité, de même que les autres internationaux de la

  1. Celle des deux Chambres du Parlement suisse qui est censée représenter la souveraineté cantonale.