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testants ; la Bible de Luther sort des commentaires de Raschi. La Cabale sort de ses mystères et s’empare des ardents qu’elle enivre de ses fumées, mais émancipe pour toutes les audaces, « car les Juifs seuls ont connu le nom véritable de Dieu[1]. » Une renaissance de l’esprit prophétique élève l’âme de l’Europe à une hauteur qu’elle n’avait point connue jusqu’alors ; l’Ancien Testament supplante le Nouveau chez les plus fermes et les plus purs ; il donne à la France Coligny, d’Aubigné, Duplessis-Mornay, et son admirable phalange de martyrs et de héros ; il donne à l’Angleterre les puritains et la République et y fonde la tradition démocratique : Cromwell, reconnaissant, rouvre aux Juifs les portes de l’Angleterre.

Vient enfin le grand siècle de la pensée libre : le voltairianisme, né avec Celse et les auteurs des Contre-Evangiles juifs, réfugié au moyen-âge dans l’enceinte du Ghetto, d’où il sort timidement parmi quelques moines ou quelques conteurs, triomphant par instant à quelque cour semi-païenne, marche de front avec la Réforme, serpente sous la religion officielle du grand règne et éclate enfin avec Voltaire et les philosophes. La Révolution française, exécutant les décrets des philosophes, donne aux Juifs droit de patrie pleine et entière en France, et à sa suite, dans tous les pays de civilisation, en Italie, en Angleterre, en Hollande, en Danemark, en Serbie, en Grèce, en Suisse, en Autriche.

La Révolution française ouvre au Judaïsme, dans tous les pays où elle pénètre, et en France, avant tout, une ère nouvelle, dans un double sens, matériel et moral.

D’une part, en brisant la barrière de séparation entre le Juif et le Chrétien, elle met un terme à l’histoire du peuple juif. À partir du 28 septembre 1791, il n’y a plus place à une histoire des Juifs en France ; il n’y a plus qu’une histoire du Judaïsme français, Comme il y a une histoire du Calvinisme, ou du Luthérianisme français, rien d’autre et rien de plus. La rapidité merveilleuse avec laquelle le Juif est devenu un membre de la grande patrie française, non seulement de droit et de nom, mais de fait, tient d’ailleurs à des causes plus anciennes et peut-être plus profondes encore que l’enthousiasme soudain de la justice chez les uns et de

  1. Reuchlin.