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À la fin, je me décidai à monter, mais je n’allai pas plus loin que la sala. La porte de l’appartement de Miss Bordereau était ouverte, et l’on apercevait la faible lueur d’une bougie brûlant dans le salon. Je m’y dirigeais d’un pas léger, quand, au même moment, apparut Miss Tina, qui me regarda m’approcher.

— Elle est mieux, elle est mieux, dit-elle avant même que je l’eusse interrogée. Le docteur lui a donné quelque chose ; elle s’est réveillée, elle est revenue à la vie pendant qu’il était là. Il dit qu’il n’y a pas de danger immédiat.

— Pas de danger immédiat ? Sûrement, il trouve son état grave !

— Oui, parce qu’elle a été excitée ; c’est une chose qui l’affecte terriblement.

— Cela recommencera donc, parce qu’elle s’excite elle-même. C’est ce qu’elle a fait cet après-midi.

— Oui, il ne faudra plus qu’elle quitte sa chambre, dit Miss Tina, retombant dans un accès de complet détachement.

— À quoi sert une réflexion de ce genre, osai-je demander, si vous vous mettez à la trimbaler de nouveau partout la première fois qu’elle vous l’ordonnera ?

— Je ne le ferai pas. Je ne le ferai plus jamais.

— Il faudra que vous appreniez à lui résister, continuai-je.

— Oui, j’apprendrai ; et je l’apprendrai mieux si vous me dites qu’il le faut.

— Il ne faut pas faire cela pour moi ; il faut le faire pour vous-même ; le dommage est pour vous, quand vous vous sentez effrayée et bouleversée.

— Oh bien ! je ne suis pas bouleversée maintenant, dit Miss Tina avec placidité. Elle est très tranquille.

— Est-elle consciente ? Parle-t-elle ?

— Non, elle ne parle pas, mais elle me prend la main, elle la tient serrée.

— Oui, répliquai-je, je peux me rendre compte de la force qu’elle possède encore par la façon dont elle m’a arraché le portrait cet après-midi. Mais si elle vous tient si fort, comment vous trouvez-vous ici ?

Miss Tina se tut ; bien que son visage