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pour une âme, et après avoir pensé cela, je vis l’âme humaine — que je tenais au bout de mes bras tendus et tremblants — baignée de sueur, sur un doux front d’enfant. La face juvénile, voisine de la mienne, était aussi pâle que la face collée à la vitre ; et puis, j’entendis une petite voix, à l’intonation non pas sourde, ni faible, mais comme venant de régions très lointaines, dire ces mots que je bus comme un souffle embaumé :

« Oui, je l’ai prise. »

Alors, avec un gémissement de bonheur, je l’enlaçai, je le pressai, éperdument, — et pendant que je le tenais sur mon sein, qui sentait battre, dans la fièvre soudaine du petit corps, la pulsation formidable de son petit cœur, mes yeux ne quittaient pas cette chose à la fenêtre, et la virent se mouvoir et changer de posture. Je l’ai comparée à une sentinelle, mais son lent va-et-vient rappela plutôt, pendant un instant, l’allure de la bête frustrée. Mon courage surexcité était tel que, pour ne pas me laisser entraîner, il me fallut, pour ainsi dire, voila ma flamme. Et, de nouveau, le regard sinistre luisait à la fenêtre, le misérable nous fixait comme décidé à épier et à attendre. Mais, maintenant, sûre de moi si j’avais à l’affronter, positivement convaincue aussi de l’inconscience de l’enfant, je poursuivis l’interrogatoire :

« Pourquoi avez-vous fait cela ?

— Pour voir ce que vous disiez de moi.

— Vous avez ouvert la lettre ?

— Je l’ai ouverte. »

J’avais desserré mon étreinte et mes eux considéraient le visage de Miles, où l’ironie disparue laissait voir à quel point le malaise le ravageait. C’était prodigieux de sentir, enfin grâce à ma victoire, ses sens scellés, et la communication rompue. Il se sentait en une présence étrangère, mais il ignorait laquelle, et encore bien davantage que j’y étais aussi, — et que je le savais. D’ailleurs, qu’importait son trouble, puisque mes yeux, revenant à la fenêtre, n’y virent plus que l’air transparent, puisque, grâce à mon