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— Avant quoi ?

— Avant qu’elle ne soit devenue trop malade pour voyager. »

Je fus prompte à la riposte.

« Mais elle n’est pas trop malade pour voyager. Elle le serait seulement devenue si elle était restée ici. C’était juste le moment à saisir. Le voyage dissipera la mauvaise influence — oh ! l’aplomb ne me faisait pas défaut — … et emportera tout.

— Je vois, je vois. »

Pour ce qui était d’avoir de l’aplomb, Miles en possédait également. Il commença son repas, avec cette exquise « tenue à table » qui, dès le premier jour de son arrivée, l’avait dispensé de toute admonestation vulgaire à ce sujet. Quel que fût le motif de son expulsion du collège, ce n’était pas qu’il mangeât mal. Aujourd’hui, comme toujours, il était irréprochable, mais, indubitablement, plus affecté. Il était clair qu’il essayait de considérer comme convenues plus de choses qu’il ne lui était possible d’admettre sans explication. Et il s’enfonça dans un paisible silence, tandis qu’il tâtait la situation. Le repas fut des plus courts : pour ma part, il ne fut qu’une feinte, et je fis rapidement desservir. Tant que cela dura, Miles se tint de nouveau debout, les mains dans les poches, me tournant le dos, regardant hors de la grande fenêtre à travers laquelle ce jour fatal, j’avais aperçu ce qui devait faire de moi une autre femme. Nous restâmes silencieux tant que la servante fut là, — aussi silencieux, pensais-je ironiquement, qu’un jeune couple en voyage de noces qui se sent intimidé par la présence du garçon. Miles ne se retourna que quand le « garçon » nous eut quittés :

« Eh bien ! nous voilà donc seuls !

— Oh ! plus ou moins ! »

J’imagine que mon sourire devait être plutôt pâle.

« Pas absolument. Nous n’aimerions pas cela, continuai-je.