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appeler à lui pour me dispenser de chercher à atteindre sa véritable personnalité.

En tout cas, il la possédait maintenant, sa liberté ; jamais plus je n’y porterais atteinte. Je l’avais largement prouvé, le soir précédent, quand il m’avait rejointe dans la salle d’études, et que je n’avais fait aucune allusion, posé aucune question sur ce qui s’était passé pendant l’après-midi ; car à partir de ce moment, j’étais toute à mes autres idées ; et cependant, lorsqu’il arriva, enfin, la difficulté de les appliquer éclata à mes yeux, devant sa ravissante petite présence, sur laquelle tout ce qui était arrivé n’avait encore, à le voir, laissé ni ombre ni tache.

Afin de signaler à la domesticité la grande allure que je voulais faire régner, j’avais décrété que les repas que je prenais avec le petit seraient servis « en bas », ainsi que nous disions ; c’est pourquoi je m’installai, pour l’attendre, dans la pompe auguste de cette pièce, hors de la fenêtre de laquelle j’avais reçu de Mrs. Grose, ce premier dimanche si bouleversé, un éclair de ce qui ne pouvait qu’improprement s’appeler lumière. Ici, à présent, je sentais de nouveau — combien de fois ne l’avais-je pas senti ! — que mon équilibre dépendait de la victoire de mon impassible volonté… de ma volonté de fermer les yeux, aussi complètement que possible, à cette vérité : le cas que j’avais à traiter était révoltant et contre nature. Je ne pouvais tenir qu’en appelant, pour ainsi dire, « la nature » à mon secours et en me fiant à elle, en me disant que ma monstrueuse épreuve me poussait dans une direction anormale, sans doute, et déplaisante, — mais qu’elle ne demandait, après tout, pour y opposer un front serein, qu’un tour de vis supplémentaire à l’humaine et quotidienne vertu. Aucune entreprise, néanmoins, n’exigeait plus de tact que celle-ci, de suppléer à soi seule toute la nature. Et comment introduire un atome seulement de cette denrée, s’il fallait s’interdire toute allusion à ce qui s’était passé ? Et, d’un autre côté, toute allusion ne m’entraînerait-elle