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et insatiable démon qu’elle fût, elle le recevrait et le comprendrait — un message inarticulé de gratitude. Elle se dressait, toute droite, sur le lieu même que mon amie et moi, venions de quitter, et, sur tout le long parcours de son désir, pas un atome de sa malignité ne manquait son but. Cette première acuité de vision et d’émotion ne dura que quelques secondes, pendant lesquelles je fus frappée par l’expression des yeux clignotants et stupéfaits de Mrs. Grose. Voyait-elle enfin, elle aussi, le prodige que je lui désignais obstinément du doigt ? Je reportai précipitamment mes regards sur l’enfant.

La révélation de la manière dont Flora subissait cette épreuve me saisie, à vrai dire, infiniment plus que si je l’eusse trouvée, elle aussi, tout simplement en proie à une certaine agitation. Je n’allais pas, bien entendu, jusqu’à m’attendre, de sa part, à un trouble révélateur. Notre poursuite l’avait préparée et mise sur ses gardes, elle saurait réprimer toute émotion capable de la trahir. Mais je me sentis fort émue au premier symptôme d’une attitude à laquelle je ne m’attendais pas. De la voir, — sans qu’un muscle remuât dans ce petit visage rose, — non pas même feindre de regarder dans la direction du prodige que j’annonçais, mais, au lieu de cela, se tourner vers moi avec une expression de gravité calme et sévère, une expression absolument nouvelle et sans précédent, qui semblait lire à travers moi, m’accuser et me juger, — c’était là un trait qui, en quelque sorte, transformait la petite fille elle-même en une image de menace et de péril.

Son calme m’ébahissait, bien que, plus que jamais à ce moment-là, je fusse certaine qu’elle voyait tout, qu’elle savait tout. Alors, poussée par la nécessité immédiate de me défendre, j’en appelai passionnément à son témoignage.

« Elle est là, petite malheureuse, là, là, là, et vous le savez aussi bien que moi ! »

J’avais, peu de temps auparavant, dit à Mrs. Grose qu’à