Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/126

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laissée à la garde de la maison, qui aurait profité du manque, si rare, de surveillance, autant que du papier et des plumes de la salle d’études, pour s’appliquer à l’effort considérable d’écrire une lettre à son bon ami. Il y avait de l’effort dans la manière dont ses mains, avec une lassitude évidente, supportaient sa tête penchée, tandis que ses bras s’appuyaient sur la table. Mais, tandis que je faisais cette observation, je m’étais déjà rendu compte du fait singulier que mon entrée ne modifiait en rien son attitude. L’instant d’après, elle changea de position, et ce fut alors, dans ce mouvement même, que, comme en un jet de flamme, jaillit son identité. Elle se leva, non comme si elle m’eût entendue, mais avec une grande et indescriptible mélancolie, faite d’indifférence et de détachement, et, à une douzaine de pas de moi, se tint là, debout, toute droite, elle, la vile miss Jessel. Tragique et déshonorée, elle était tout entière devant moi. Mais comme je la fixais et assurais son image dans ma mémoire, l’affreuse apparition passa, disparut. Sombre comme la nuit dans sa robe noire, sa beauté hagarde et sa douleur indicible, elle m’avait regardée assez longtemps pour sembler me dire que son droit de s’asseoir à ma table était aussi bon que le mien de m’asseoir à la sienne. Vraiment, je frémis d’horreur pendant ces instants, soudainement envahie par ce sentiment que l’intruse, c’était moi. Dans une protestation passionnée, je m’étais directement adressée à elle : « Ô terrible et misérable femme ! » m’étais-je entendue crier, — et le son, par la porte ouverte, s’en était allé résonner le long du corridor et dans la maison vide. Elle me regarda, mais je m’étais reconquise, et l’atmosphère s’assainissait autour de moi. Une minute plus tard, il n’y avait plus que des rayons de soleil dans la chambre, que des rayons de soleil — et la conviction que je devais rester.