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J’étais invitée, sans qu’une liaison d’idées nous y eût amenés, à répéter le mot célèbre de Gros-Pierre, ou à confirmer des détails déjà connus sur l’intelligence du poney du presbytère.

C’était tantôt à de semblables moments, tantôt à d’autres, tout à fait différents, que mon « épreuve », ainsi que je l’ai appelée, me devenait, avec la tournure actuelle des événements, plus amère et plus difficile. Le fait que les jours s’écoulaient sans m’apporter de nouvelle rencontre aurait dû, semble-t-il, verser quelque apaisement à mes nerfs surexcités.

Depuis la légère émotion de cette seconde nuit, où, du palier, j’avais reconnu la présence d’une femme sur la première marche d’en bas, je n’avais rien vu, dehors ou dedans la maison, qu’il eût mieux valu ne pas voir. Je m’étais attendue à voir Quint à plus d’un tournant, et maintes fois, la situation, simplement par je ne sais quelle atmosphère sinistre, m’avait paru propre à une apparition de miss Jessel. L’été avait tourné, l’été était passé, l’automne s’était abattu sur Bly, y éteignant à demi notre belle lumière. Ce beau lieu, sous le ciel gris, avec ses corbeilles flétries, ses espaces dénudés et ses feuilles mortes éparses, paraissait un théâtre où la pièce est finie de jouer, quand les programmes froissés jonchent le sol. Je retrouvais exactement l’état de l’atmosphère, les nuances de sonorité et de silence, l’indicible, l’inexprimable impression d’être arrivée au « moment voulu », tout un ensemble de circonstances qui me rendait de nouveau — assez longtemps pour que je la puisse noter — cette sensation de médium où j’étais plongée, ce beau soir de juin, lorsque Quint m’était apparu pour la première fois ; dans laquelle aussi, après l’avoir vu derrière la vitre, je l’avais vainement cherché dans les taillis environnants. Oui, je reconnaissais les signes, les présages, je reconnaissais le temps, le lieu. Mais tout demeurait vide et inanimé, et moi-même indemne, respectée, — si l’on peut dire « respectée » une jeune femme dont la sensibilité à été,