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qui, le premier, lui témoigna de l’attention, de la galanterie et du dévouement. Elle vint demeurer aux Chartreux, tout près d’Augulanty, qui allait la rejoindre, chaque soir, et la quittait, à l’aube, en hâte, pour regagner son logis.

Mais désormais l’économe eut, lui aussi, son remords. Il trembla à son tour devant l’abbé Barbaroux et craignit que cette intrigue ne lui fût, un jour, connue, ce qui ruinerait à jamais son crédit, ses espérances, son avenir et le rejetterait dans la misère d’où il avait eu tant de peine à sortir.

Plus tard, voyant que rien de sa liaison ne transpirait, Augulanty se rassura et devint moins prudent. Une fois, l’ouvrière parla timidement de mariage. L’économe inventa aussitôt un prodigieux roman pour lui expliquer qu’il ne pourrait l’épouser que dans longtemps, lorsque certaines circonstances fabuleuses, qu’il lui raconta en détail et qui l’enchaînaient, se seraient produites. La piqueuse, lectrice assidue de romans-feuilletons, n’aurait pas osé mettre en doute un tel récit ; elle se décida à attendre patiemment.

Il arriva, par malheur, que ce futé de M. Bermès démêla toute l’affaire, ayant rencontré, un dimanche, Augulanty et sa belle, dans une colline lointaine où il promenait lui-même ce qu’il appelait « une de ses mauvaises fortunes ».

Un jeudi de fin du mois, M. Augulanty, pour se rendre à la réunion des professeurs, passa devant M. Bermès et l’abbé Mathenot, qui causaient devant la porte, et les honora du salut un peu hautain d’un supérieur à ses subordonnés. C’était quelques jours avant son désastre, et il se croyait encore tout près de remplacer l’abbé Barbaroux.

— Qui dirait que ce garçon-là, qui ressemble à un bâton de cold-cream, a une aussi jolie maîtresse ? dit Bermès, en soupirant. — Il avait bu quelques verres d’absinthe de plus que de coutume, et il parlait un peu au hasard.

L’abbé Mathenot eut un éblouissement.

M. Augulanty a une maîtresse !