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Devant le regard glacé de mépris et d’insolence que Virginie fixait sur lui, Augulanty, à demi désespéré et à demi furieux, s’arrêta. La jeune fille déclara, d’un ton sec, en se levant :

— Vous vous méprenez, je crois, monsieur…

L’économe comprit enfin combien son insistance était de mauvais goût. Il sentit bouillonner en lui la honte indignée de l’humiliation, la colère et la haine. Il ne put se retenir de menacer celle dont il venait de se dire le dévoué serviteur ; il murmura en se dressant :

— Eh bien ! je crois, mademoiselle, que vous serez tout de même ma femme. Vous ne voudrez pas désoler toute votre famille, brouiller avec votre oncle votre mère et votre frère, attirer le désastre et la ruine sur les vôtres… Soyez sûre que votre décision n’a rien de définitif…

Augulanty la salua froidement, serra la main aux maîtres de la maison et se retira.

— Ah çà ! qu’est-ce que cela signifie ? se dit Virginie, étonnée. Qu’est-ce qu’il insinue, ce Chinois-là ?


XII

CHAQUE ARAIGNÉE FAIT SA TOILE


Félix Augulanty, qui continuait à être aidé par les prêtres et qui leur devait des élèves, chaque année, pendant les vacances, reçut, un jour, environ dix mois avant son échec auprès de Virginie, du vieil abbé de Dainnamare, chanoine d’Aix, une lettre où il lui recommandait une jeune ouvrière, piqueuse en bottines, « honnête fille, trop jolie pour sa situation », disait le bon chanoine, et qui fuyait sa famille. Augulanty chercha pour la fugitive une place et un logement, la prit sous sa protection, lui prodigua les bons conseils et finit par devenir son amant. La conquête de cette Émilie Sayaudet, brune, vive, belle femme, avec une chevelure appesantie et des yeux qui brûlaient le regard, flatta la fatuité d’Augulanty. L’ouvrière ne pouvait que s’éprendre de l’homme