rentrée à Mme Pioutte et à sa fille. L’avenir lui souriait.
Trois fois par semaine, M. Augulanty allait, dans un café de la Canebière, jouer aux dominos avec le caissier, qui conservait cette habitude de sa vie de garçon. Quelques jeunes gens s’y réunissaient avec eux, deux employés de la Préfecture, un clerc de notaire et un dentiste.
Augulanty, qui ne connaissait jusqu’alors aucun jeu, avait soudain découvert en lui un enragé joueur de dominos, qu’il avait bien caché antérieurement, puisque lui-même ignorait son existence.
Un jour, les deux amis causaient gravement, selon leur coutume, en attendant l’arrivée de leurs camarades en retard. Caillandre déclamait contre la jeunesse contemporaine et lui reprochait son amour exagéré de l’argent. Il parlait des grands sentiments, et, à la manière dont il prononçait leurs noms, on voyait sûrement qu’il les affublait d’une majuscule.
— C’est Israël qui nous pourrit, affirmait-il en tournant sa cuiller dans sa tasse de café noir. L’argent a chassé l’amour. Ce n’est pas pour les yeux d’une jeune fille que l’on se marie aujourd’hui, mais pour des inscriptions sur le Grand-Livre. Je souffre de voir que partout les intérêts mesquins ont remplacé les Grands Principes de nos Pères. — Prenez donc encore du sucre, mon cher, il est inutile d’en laisser ! On ne nous en offre déjà pas tant !
— C’est une honte, continua-t-il, après avoir bu ; moi, si j’avais fait un mariage d’argent, je crois que je me mépriserais…
Tout à fait par hasard, et en manière de plaisanterie, Augulanty répliqua en riant :
— Eh ! mon ami, vous n’avez cependant pas choisi une jeune fille sans le sou…
— Oh ! mon cher, on ne fait pas un mariage riche, quand votre femme vous apporte cinq malheureux mille francs !
Augulanty entendit cette phrase avec une stupéfaction qu’il ne put, malgré sa présence d’esprit, entièrement dissimuler.
— Comment, vous n’avez reçu que cinq mille francs ?
— Mais oui, ne le saviez-vous pas ?