Virginie se mit à rire. M. Augulanty ne lui était pas encore apparu comme un homme galant. Elle regretta moins de lui avoir permis de s’asseoir auprès d’elle. Il lui ferait des compliments, cela aide à tuer le temps. M. Augulanty n’était pas un sot, il sut se montrer assez drôle. Il comprit que rien ne plairait davantage à cette jeune fille méprisante que d’entendre ridiculiser les femmes qui assistaient à la réunion. Il révéla quelque esprit en se moquant des danseuses qui passaient devant lui, il trouva des mots à l’emporte-pièce qui raillaient leurs visages, leurs tailles, leurs robes, leurs bijoux. Il eut des flatteries discrètes pour louer la tenue élégante et sobre de Virginie, ses peignes extrêmement modernes et ses bagues de forme ancienne. Il lui comparait, semblait-il, toutes les assistantes, et les plaisanteries moqueuses dont il les saluait tout bas n’étaient qu’un hommage plus délicat encore et plus discret à Virginie. La jeune fille s’amusait. Elle lui donnait la réplique, avec vivacité, et elle s’étonnait de trouver une humeur gaie et méchante, et presque le ton de la société chez ce grand blond à l’air mollasse, qu’elle avait jusqu’ici considéré comme un cuistre et qu’elle n’avait jamais vu que debout devant l’abbé Barbaroux, l’écoutant avec respect, humble et servile, avec la mine d’un larbin devant son maître. Mais il ne lui venait point à la pensée qu’ici encore M. Augulanty jouait le même rôle.
Cependant, l’abbé Mathenot, venu quelques instants, sur la prière de son directeur et dissimulé dans les tentures qui encadraient la porte du buffet, fixait sur Augulanty des yeux que l’attention durcissait. Il paraissait suivre les méandres de la conversation et en comprendre les finesses, tant son visage se contractait, dans l’ombre, de colère impuissante et d’indignation. Cet Augulanty, qu’il poursuivait d’une haine tenace, opiniâtre et perspicace, agissait en ce moment au mieux de ses intérêts, et Mathenot ne se cachait pas que si l’économe mettait Mlle Pioutte dans son jeu, la partie serait rude pour lui, à qui sa soutane et son horreur des femmes défendaient d’employer de tels moyens d’obtenir la protection de l’abbé Barbaroux.