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c’était là, paraît-il, la condition de ton mariage. N’oublie pas que tu auras toujours un père en moi. Chaque jour, je remercie Dieu d’avoir pu remplacer le vôtre, au moins, en quelque chose. Je le dis, d’ailleurs, bien haut. Je n’ai qu’à me louer de ce que j’ai fait. Vous m’avez donné de grandes consolations, ta sœur et toi, par votre affection, votre conduite sérieuse, votre piété, vos bons sentiments. Je suis heureux de le reconnaître aujourd’hui, continua l’abbé, de plus en plus ému et prêt à pleurer, et de déclarer… quel cœur dévoué, fidèle… affectueux, affectueux… j’ai trouvé en vous. Grâce au ciel, l’amertume de la vieillesse… et sa solitude m’ont été épargnées. Ta mère m’a dit… que je dépensais trop pour vous. Mais je ne comprends pas… ce monde-ci, mon enfant… Qu’est-ce qu’un peu… d’argent… considéré… en face de l’affection, de… la… confiance… de…

L’abbé ne put aller plus loin, les larmes débordèrent de ses prunelles bleues et coulèrent dans les rides de ses joues. Il serra sa nièce dans ses bras.

Tout cela parut à Cécile assez énigmatique et assez incohérent. Comparant ces paroles à celles que Mme Pioutte avait attribuées à son frère, elle réfléchissait à ces contradictions si formelles. Elle pensa d’abord que son oncle, regrettant ses paroles, s’efforçait de réparer le mal par des flatteries, puis elle allait franchement l’interroger, lorsque Mme Pioutte, qui écoutait soigneusement à la porte pour éviter que la conversation ne dégénérât en explication, entra à la hâte, embrassa l’un, l’autre, pleurnicha, invoqua le ciel, remercia Dieu, brouilla les cartes, enfin, fit cent tours de sa façon et, emmenant sa fille, indifférente, quitta son frère, ahuri.

Les jours suivants, elle n’eut garde de laisser Cécile approcher, seule, son oncle. Elle lui tint compagnie dans tous les entretiens que la jeune fille eut avec l’abbé et fut sûre ainsi du silence de son frère. D’ailleurs, Cécile cessa vite de s’occuper du mystère apparent qui l’avait intriguée un instant ; elle avait d’autres chats à fouetter et Caillandre à conduire.