années de révolte contenue, de désirs effrénés et de désillusions cruelles crevaient ainsi, dans cette écluse de larmes qui la vidait de tout un passé taciturne. La crise de nerfs, qui menaçait depuis un moment, éclata. Cécile se tordit, en hurlant de désespoir et de rage, et se roula au milieu des coussins.
Mme Pioutte courut au pot à eau et baigna la figure de sa fille, en la suppliant de se taire. Mais Cécile criait plus fort. Alors sa mère le lui vida sur la tête. L’eau inonda la jeune fille, gonfla sa bouche, remplit ses yeux, colla les mèches éparses de sa chevelure. Cette fois, Cécile se tut et resta hagarde, suffoquée, prise d’un accès de toux qui l’étouffait. Et déjà elle sentait renaître en elle un calme charmant, un repos de convalescence, maintenant qu’elle s’était à demi soulagée de cette souffrance qui l’avait torturée si longtemps.
VIII
MADAME PIOUTTE PREND SA FILLE AU PIÈGE
Cécile eut la fièvre toute la nuit. Elle se leva tard, avec une figure pâle et défaite, les yeux cernés, les traits tirés. Les jointures lui faisaient mal, elle avait la bouche amère et sèche et une grande lassitude. Elle ne descendit pas à la salle à manger et demanda qu’on lui servît son déjeuner dans sa chambre. Sa mère monta la voir.
— Tu as bien dormi, Cécile ? lui dit-elle, paisiblement.
— Pas mal, merci, et toi ? répondit Cécile, indifférente.
Elles se regardèrent du coin de l’œil, comme deux ennemis qui s’observent avant de se tirer dessus. Mme Pioutte posa à sa fille quelques questions banales, se plaignit de sa santé, puis s’en alla.
L’après-midi, Virginie tint compagnie à sa sœur. Elles travaillèrent ensemble. Cécile ne racontant rien, Virginie n’osa pas lui demander de détails sur la rencontre de la veille. En prenant le thé, Virginie narra qu’elle avait ren-