Tu as passé dix minutes avec lui ! Et tu n’as pas même fait le moindre effort pour le faire parler ! Évidemment, si tu n’appelles intelligents que ceux qui ont des idées aussi extravagantes et aussi biscornues que les tiennes, j’espère bien pour lui qu’il ne l’est pas !
— Je ne veux pas de la vie qu’il me ferait mener, reprit Cécile, avec une ardeur fiévreuse. Ah ! je la vois d’ici, cette existence ! Passer mes journées chez moi, attendre patiemment l’heure de son retour, l’écouter se plaindre de ses chefs ou raconter des anecdotes sur ses collègues, ne jamais bouger, croupir, croupir ! Je ne veux pas !
— Eh bien ! refuse, ma fille, refuse. Attends le Prince Charmant, le fils du roi, le millionnaire qui viendra te chercher. Comme si la vie était un conte de fées !
— Mais ce n’est pas cela que je demande. Je ne suis pas si bête, enfin ! Je ne désire pas un millionnaire, un Prince Charmant, mais quelqu’un qui vive, qui soit un homme, un ambitieux, un énergique, quelqu’un qui gagne deux mille francs, mais qui ait un véritable avenir ! C’est une vie sans imprévu que je refuse. Se marier ainsi, mais c’est déjà mourir ! Je saurai, en épousant M. Caillandre, que ce sera fini pour moi, comprends-tu ? fini, fini, que rien d’autre n’arrivera, que tout le long de ma vie, j’entendrai les mêmes sottises, je serai dans la même position, avec les mêmes connaissances et les mêmes meubles. Mais ma vie serait aussi morne, aussi triste, aussi immobile que celle du chameau… Ah ! il était symbolique, ce chameau-là !
Mme Pioutte maintenait à grand’peine sa colère. Venir à bout des difficultés les plus insurmontables, garantir l’avenir de son fils, assurer son travail et son succès, et tout perdre en se heurtant là, contre cet entêtement, contre ce refus qui n’était pour elle qu’un caprice ! Et elle s’exaspérait en silence, n’osant montrer sa fureur, de crainte de laisser échapper un mot maladroit qui mette sa fille en garde et lui fasse soupçonner qu’elle avait peut-être plus de raisons qu’elle n’en révélait à vouloir ce mariage. Et elle regardait avec rage cette belle fille aux yeux éclatants et durs qui dressait son indépendance en face de son désir et s’obstinait à faire de sa vo-