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LES SANGSUES




I

OÙ LE LECTEUR FERA CONNAISSANCE AVEC L’ÉCOLE SAINT-LOUIS-DE-GONZAGUE


Le dernier jeudi de chaque mois, M. l’abbé Théodore Barbaroux, directeur de l’école Saint-Louis-de-Gonzague, réunissait ses professeurs pour causer avec eux de l’avenir de sa maison et de la conduite des élèves.

L’abbé Barbaroux était un petit homme maigre et sec, nerveux et remuant. Il avait le front haut, sous une flottante chevelure grise, où la tonsure grandissait de jour en jour, le nez osseux et envahissant, les joues creusées, la bouche grande et mince, peu de lèvres, un menton de galoche et quelque chose d’ascétique dans toute sa figure austère et labourée de rides. Mais l’expression de loyauté et de franchise, qui sortait de cette physionomie, en corrigeait la rudesse ; et sous d’épais sourcils broussailleux, ses yeux bleus, ingénus, très clairs, gardaient un peu de la confiance et de la droiture d’un regard d’enfant, — lorsque la colère ou une surprise scandalisée n’en faisaient pas deux fontaines d’éclairs. De même, sa voix éclatante conservait un ton jovial, plein de vigueur et d’entrain ; ou bien, elle devenait si sévère que sa sonorité grave et caverneuse et ses accents pathétiquement indignés intimidaient ses auditeurs. Ce que M. Barbaroux persistait à montrer de toujours jeune, malgré la fatigue et l’usure de l’âge, dans sa personne physique son esprit en témoignait davantage encore. Son enthousiasme, l’ardeur de ses convictions, son optimisme géné-