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— Tu t’imagines que je vais l’épouser ? s’écria-t-elle.

— J’en suis sûre.

— Eh bien ! détrompe-toi, je ne l’épouserai jamais.

— Pourquoi ? fit posément Mme Pioutte… Écoute, Cécile, si ton pauvre père vivait encore, tu pourrais faire la dégoûtée, mais, dans ta position, tu n’as pas les moyens de te montrer si dédaigneuse. Tu refuses M. Caillandre aujourd’hui. Sais-tu qui tu accepteras demain ? Les qualités morales de ce monsieur devraient te faire passer sur son extérieur. C’est un très honnête homme, qui aimera son foyer et qui ne courra pas après la première venue comme ont l’habitude de le faire de plus jolis garçons. Il gagne six mille francs, il aura davantage avec le temps. Il est encore jeune, il a de l’avenir. C’est une jolie situation pour une jeune fille sans dot. Je ne veux pas t’influencer, tu es libre, mais je sais que tu es trop raisonnable pour ne pas reconnaître combien ce parti est avantageux pour toi. Je crois même que tu seras très heureuse avec lui. Il te faut un homme doux, pas violent, comme ce M. Caillandre. Si tu épousais un homme aussi vif que toi, vous feriez ensemble un mauvais ménage…

Cécile ne répondit rien. Elle conservait son air rêveur et distrait et regardait bondir dans la cheminée les flammes élégantes et souples.

— Allons ! demanda Mme Pioutte, que peux-tu répondre de raisonnable à ce que je te dis ?

— Ah ! fit la jeune fille, avec un air de profond ennui, tu penses encore à ce M. Louis Caillandre !

— Oui, et je pense aussi qu’il faudrait que tu fusses bien sotte pour ne pas l’épouser.

— Mais tu ne l’as donc pas vu, s’écria Cécile, avec un subit accès de colère, tu ne l’as donc pas regardé ! Mais c’est un imbécile, ton M. Louis Caillandre, c’est même pis que cela, c’est l’imbécile. Je n’en veux pas. Je ne veux pas croupir, végéter misérablement auprès de cette défroque d’humanité, de ce déchet vivant. Ce n’est pas un homme, cela, c’est un résidu. L’as-tu examiné en face, cria-t-elle, avec un sursaut de fureur, as-tu contemplé cette figure plate, ce front écrasé, ces yeux bestiaux ? Cela n’existe pas, cela n’a ni beauté, ni caractère,