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sur un barreau, et des faisans blancs ou dorés erraient avec dignité, en levant très haut, précautionneusement, leurs pattes fines et précieuses.

— C’est très gai, cette entrevue, ne trouves-tu pas ? demanda tout à coup Cécile, qui paraissait impatientée et nerveuse.

— Mais non, fit sa mère, avec une gravité un peu pompeuse. C’est trop sérieux, au contraire, pour que ça me fasse cet effet. Je pense que si quelque chose a droit à notre respect, c’est bien le mariage.

— Oh ! maman, pas de phrases, s’il te plaît. Moi, je trouve cette entrevue absurde, et même ridicule, s’il faut tout dire. Est-ce assez stupide d’avoir l’air de se rencontrer ici par hasard ! Et avoir choisi le Jardin Zoologique, et un jeudi encore ! Comme c’est bien une idée de Mme Maubernard ! Et se réunir devant la cage du chameau, par-dessus le marché ! A-t-il l’air assez bête, ce chameau !

— Je ne te comprends pas, ma fille, dit Mme Pioutte, interloquée.

— Je le sais, va, maman. Tu ne t’es jamais donné la peine de chercher à me comprendre. D’ailleurs, qu’avons-nous de commun, toi et moi ?

— Comment ? Qu’avons-nous de commun ? Mais… mais, je suis ta mère, il me semble.

— Eh ! je le sais bien, mais après ? Sais-tu ce que je pense, ce que j’aime, ce que je suis ? Allons, maman, nous sommes deux étrangères l’une pour l’autre !

— Voilà la récompense, s’écria Mme Pioutte, indignée. Sacrifiez-vous pour vos enfants !

Mais elle se tut tout à coup. Elle voyait Mme Maubernard, suivie d’un jeune homme, longer la cage du chameau, en cherchant des yeux dans la foule bigarrée.

— Les voilà ! dit Mme Pioutte avec émotion.

Elle se leva et agita son parapluie. Mme Maubernard l’aperçut et s’avança. Son manteau marron, usé et démodé, se fraya un passage entre les nourrices et les mères attentives aux jeux de leurs rejetons. Quand elle arriva devant son amie, elle cria, fit l’étonnée, parla du hasard et présenta son compère. Certes, Mme Pioutte,