Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tentations. Quand mon pauvre mari vivait, elles étaient si peu habituées à compter…

— Voyons, Gaudentie, l’affaire de la modiste est de trop ici. Laissons-la de côté. Je t’ai dit qu’il m’était impossible de continuer à faire de telles dépenses, je t’ai priée de mieux surveiller les emplettes de tes filles, mais tout cela n’a rien à voir avec ce qui nous occupe. Il est inutile de s’endetter et de se gêner pour payer, très cher, des chapeaux à peu près inutiles et d’enrichir ainsi celles qui les font et qui sont souvent des femmes peu recommandables, quand il y a tant de pauvres créatures honnêtes qui meurent de faim… Mais cela n’a pas de rapport, encore une fois, avec le mariage de Cécile. Il y a des sacrifices qu’il faut savoir faire, quand il s’agit d’une chose aussi importante qu’un mariage. Cécile ne retrouvera peut-être jamais les conditions qui sont réunies là. Quand on a sous la main un jeune homme aussi plein de qualités solides que ce M. Louis Caillandre, on ne le laisse pas échapper comme cela. Certes, s’il refusait lui-même de prendre Cécile sans dot, je tiendrais moins à lui, car je l’estimerais moins. Mais ce sont ses parents ! Et d’ailleurs, cette soumission à leur volonté prouve en sa faveur… Le respect existe si peu de notre temps ! Crois-moi, Gaudentie, je connais les jeunes gens, nous aurons de la peine à en découvrir un qui ressemble à ce M. Louis Caillandre…

— Tout ce que tu dis est marqué comme toujours au coin du bon sens, mon cher Théodore. Mais il n’est pas moins vrai qu’en l’état actuel de tes finances nous ne pouvons accepter que tu te dépouilles d’une somme aussi importante. Oui, j’ai pensé à toi, tu n’en doutes pas, quand Mme Maubernard m’a posé les conditions des Farnarier, mais il m’a semblé que ce ne serait pas honnête de t’en parler, tant je te sais large et généreux…

— Ce scrupule t’honore, ma bonne Gaudentie, mais tu l’exagères…

— Non, mon ami. Admets que je les accepte ces vingt mille francs. Où les prendrais-tu ?

— Mais, répondit l’abbé, tu sais qu’il me reste une trentaine de mille francs. J’en prendrai les deux tiers, voilà tout.