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pour rendre ton fils heureux ? Et tu oses me dire, à moi, des abominations pareilles ! Et d’ailleurs, tu as fait pis… Tu commettais des infamies pour que ton fils ait du plaisir ? De la boue, de la boue, de la boue ! — Et toujours cette notion absurde du bonheur, comme si on pouvait être heureux ici-bas !… L’idée du devoir est morte, il ne reste que celle du plaisir. Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme a donc fait de votre terre ? Il est temps que vous le balayiez encore, ce monde, où rien ne demeure de ce que vous y avez mis. Qu’il ne reste plus un seul de ces êtres s’ils sont tous tels que je les vois maintenant…

L’abbé marchait à grands pas à travers la pièce, levant les mains avec désespoir, heurtant les meubles. Le soleil commençait à dorer les rideaux usés des fenêtres, des mouches cognaient aux vitres, curieuses, babillardes, et l’on entendait, par moment, les cris des élèves qui venaient d’entrer en récréation.

— Je vois tout, je comprends tout, à présent. Et vous étiez tous là, autour de moi, m’entourant, me cajolant, me flattant, vous attendiez quelque chose de moi, mon argent ou ma place. On se battait déjà pour ma succession. Mais je suis vivant, bien vivant, je vous chasserai, tous, je resterai seul. Et Mathenot lui-même m’a trompé. Ce qu’il voulait, c’est démolir Augulanty pour le remplacer, et j’ai cru qu’il agissait dans mon intérêt. Comme je suis faible ! Il faut toujours que je croie… Vous accouriez à moi comme à une curée, comme des bêtes, comme des oiseaux de proie, comme… des… gerfauts ! Étais-je un parent pour vous, étais-je un frère, un oncle, un professeur, un prêtre ? Étais-je même un homme ? J’étais une proie, bonne à déchiqueter, à déchirer, à coups de bec, à coups d’ongles. C’était à qui arracherait une somme, une promesse, un espoir. J’ai été le centre de mille intrigues, le but de vingt démons. Moi, qui ne voulais que le bien, j’ai, par le seul fait d’avoir agi, répandu le mal autour de moi. Il y a donc quelque chose d’empoisonné dans l’air pour que les meilleures intentions produisent des crimes ? La honte ! La honte ! Et vous m’avez tué, je sais que vous m’avez tué ! Vous vous battrez sur