dentie Pioutte, que tous les bienfaits de son frère eussent amassé chez elle des flots de rancune et de haine. Toute contrainte cessant, elle allait enfin prendre sa revanche, se venger de Théodore, lui faire payer cher chacun des services qu’elle avait l’humiliation de devoir à sa bonté. Et, la figure dure et mauvaise, elle s’acharnait, blessant en lui tout ce qu’elle y savait de vulnérable. Il avait traité son fils de chenapan ! Ah ! comme il allait solder ce mot, et tout le reste en même temps, ses bonnes actions à lui et ses mauvaises à elle ! Et à la place de sa sœur, l’abbé Barbaroux voyait un être bas, vil, envieux, qui l’énervait et l’irritait par l’injustice de ses invectives, son ingratitude et cette fausseté absolue de raisonnement qui faisait infiniment souffrir un esprit droit comme le sien. Ils se parlaient tous deux une langue étrangère, et le fait le plus simple, le plus banal, le plus quotidien, avait pour chacun d’eux un sens différent.
Il cria avec violence :
— C’est moi que tu accuses à présent ! Tu as des reproches à me faire ? Je n’ai pas été pour vous ce qu’il fallait ?… Mais tu oublies, Gaudentie, que tu es la coupable, et moi, l’accusateur. Ne renverse pas les rôles… Ah ! Dieu ! As-tu toujours été telle que je te vois aujourd’hui ou l’es-tu devenue depuis que tu es mère ? Est-ce toi qui as corrompu ton fils ou lui qui t’a dépravée ? Ah ! race odieuse, et c’est la mienne ! Que ne ferais-tu pas pour ton Charles !
Fouaillée par cette colère méprisante, meurtrie par ces attaques qui visaient son fils, Gaudentie se déchaîna à son tour. Et Théodore la regardait avec terreur.
De leur ancienne affection, de cette douce et vieille amitié, qui avait rempli pour eux tant d’années de jeunesse, de leur estime réciproque, de leur mutuelle confiance, il ne demeurait rien. Mais la rancune, le mépris, l’animosité allaient de l’un à l’autre, comme ces balles élastiques que des raquettes se renvoient.
Ils étaient maintenant prêts à le défigurer, ce passé, à y fouiller, pour chercher de secrets motifs de haine dont ils auraient pu se servir même en ce temps-là. Sous les fleurs de leurs souvenirs, ils cherchaient la boue et le