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tournoyer dans un flamboiement de lumière qui l’aveugla, le sol s’amollit et fut mouvant sous ses pieds. Il s’appuya d’une main au mur de la maison.

— Ces éblouissements reviennent bien souvent, se dit-il, la crise passée, beaucoup trop souvent… Il faudra que je me décide à voir le docteur…


XXVIII

L’ENLÈVEMENT


L’incertitude de l’abbé Barbaroux ne se résolvait point. Affalé sur une chaise, dans le parloir silencieux, il méditait sur la visite de la veille. Pour être seul, il s’était réfugié dans le grand salon, et, la tête enfoncée dans ses mains, il songeait douloureusement. Il priait Dieu de l’éclairer et de lui inspirer une juste résolution. Oublier les méfaits de sa sœur et ne pas lui en vouloir, c’était outrager la vertu. D’ailleurs, il ne se sentait pas le courage, dans son ressentiment, sa souffrance et son indignation, de lui montrer le même visage qu’autrefois. Il lui était à jamais impossible de faire abstraction de ce passé honteux et de considérer Gaudentie avec estime et avec amour, comme jadis. C’était fini, on ne construit rien sur des ruines. Avilie et tarée comme elle l’était, elle ne méritait plus que le mépris. L’abbé Barbaroux se refusait donc à lui conserver la direction de la maison et à continuer à Charles les mêmes faveurs. « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu, se répétait-il, pour se donner du courage devant son œuvre de justice. » Mais d’autres paroles du Christ revenaient à lui, et il se rappelait la parabole du figuier stérile : « Maître, laissez-le encore cette année, afin que je laboure au pied et que j’y mette de l’engrais. Et peut-être donnera-t-il du fruit : sinon, vous le couperez après. » Cela augmentait ses hésitations. Et il ajoutait en secouant