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l’oreille de Barbaroux, mais comme elle se faisait forte, maintenant, comme elle ricanait ! Elle chuchotait, elle murmurait des avertissements mystérieux, et, soudain, elle devenait violente, amère, éloquente, elle se renforçait, elle augmentait de volume, elle était criarde, rauque, véhémente, elle bafouait les croyances de l’abbé, elle injuriait Gaudentie, Mathenot, Cécile, dans un déchaînement universel de rage et de rancœur. Elle faisait le bruit de la mer qui se rompt, vague à vague, sur les récifs ; ou bien, elle imitait le bruit des cloches. Et alors, au cerveau épuisé de Barbaroux, de lourdes sonneries de bronze se répercutaient interminablement, d’écho en écho.

Elle était née, cette voix, lorsque Cécile avait raconté l’histoire du vol. Ce jour-là, quelque chose avait craqué dans l’âme de l’abbé Barbaroux. Dans l’enclos moral où il vivait, aveugle, heureux et confiant, la libre vie était entrée, et, avec elle, un souffle amer de pessimisme et de désenchantement. Qu’y avait-il donc d’extraordinaire dans la conduite de Mme Pioutte ? Puisque Cécile avait volontairement conduit son mari à être malhonnête, tout n’était-il pas possible ?

Il y avait, d’ailleurs, une raison qui défendait à l’abbé de sortir de cet enfer. Il avait beau se représenter Mathenot comme un envieux, un jaloux irrité des succès d’Augulanty, un intrigant, cet envieux, ce jaloux, cet intrigant n’était pas moins un prêtre. Et par moment, Théodore Barbaroux se disait qu’il était incroyable qu’un ecclésiastique se fasse l’écho de pareils bruits, s’ils étaient entièrement mensongers. Et, il songeait aussi que de telles histoires ne s’inventent pas. Mais aussitôt après, il s’écriait : « Quel absurde roman ! De pareilles choses sont pratiquement impossibles. C’est de la folie ! C’est absurde ! C’est grotesque ! » Il se contraignait à croire que Mathenot était fou. Cela expliquait tout, cela donnait une cause à ces inventions romanesques que Mathenot faisait sans cesse et à cette sorte de délire des persécutions, qui venait de le frapper.

Ce qui augmentait les tortures de l’abbé Barbaroux, c’était l’obligation de cacher ses pensées. Quand il se