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— Elle est riche ? fit l’épicière.

— Non, elle n’est pas riche, riche, mais elle n’est pas non plus sans rien.

— Enfin, elle a de quoi.

— Oui, elle a de quoi, dit Mathenot, en souriant de l’expression. Et si elle ne le croit pas, votre amie, dites-lui qu’elle aille prendre des renseignements, rue Saint-Savournin, à l’école Saint-Louis-de-Gonzague.

L’abbé sortit. Il s’était forcé à être aimable avec l’épicière, mais ce rôle lui pesait. Il poussa un soupir de soulagement, en se trouvant dehors, et se frotta les mains.

— Ah ! songeait-il, en s’en allant, elle ira à l’école faire une bonne scène. C’est une femme qui perdra Augulanty et qui sauvera Barbaroux ! Cette fois, ce sera fini, Augulanty sera chassé, et c’est moi qui le remplacerai ! Je l’ai toujours pensé, la victoire restera à Dieu !


XXVII

LA JOURNÉE DES DUPES


À mesure que les pas sonores de l’abbé Mathenot s’éloignaient sur les dalles du corridor, il semblait à Théodore Barbaroux, écroulé sur une chaise, que sa confiance absolue dans le caractère de sa sœur diminuait aussi. Certes, il n’avait eu aucune arrière-pensée en interdisant au prêtre de continuer ses bavardages, pas un soupçon n’avait effleuré alors sa certitude, et voici que maintenant quelque chose qu’il ne connaissait pas, et qui était affreux, s’emparait de lui : c’était le doute.

Aucune des souffrances que Barbaroux avait éprouvées, dans le courant de son existence, ne l’avait torturé avec autant d’âpreté que celle-ci.

Pour cet homme de foi, qui avait toujours cru, pleinement, absolument, sans réticence, sans hésitation, il y avait dans la suspicion et la défiance une douleur intolérable. Rien ne répugnait davantage à sa nature loyale,