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colère. Et moi qui t’écoutais gravement ! Tu ne dis jamais que des stupidités !… Tu as tort, tu sais, de tant te moquer de M. Augulanty ! Ce sera peut-être un excellent parti pour toi…

Virginie tourna vers sa mère des yeux fins :

— Pourquoi, maman ?

Mme Pioutte, sans voir le piège, se jeta dans l’éloge de son protégé. Elle le fit avec feu, en pensant à la situation compromise de Charles. M. Augulanty prendrait sans doute la succession de l’oncle Théodore. Il ferait prospérer le pensionnat. Il était beau…

— Oui, un bâton de cosmétique. J’aurais trop peur de le voir fondre pendant les grandes chaleurs. Puis j’aurais peur de le toucher, il doit vous graisser les doigts…

— Bon chrétien…

— Du moins, il fait tout pour le faire croire.

— Ne m’interromps pas sans cesse par tes remarques saugrenues, ma fille, dit Mme Pioutte, d’un ton irrité. Je t’ai déjà dit que nous parlions sérieusement. M. Augulanty a des qualités morales, fort rares par le temps qui court. C’est un homme religieux, pratiquant…

— Et c’est moi qu’il voudrait comme pratique, s’écria l’incorrigible Virginie. Non, non, qu’il se détrompe !

— Écoute, Virginie, tu ne suspecteras pas, je pense, sa loyauté, son honnêteté, son intelligence, dit Mme Pioutte, de plus en plus agacée, mais qui n’osait pas le laisser trop voir.

— Non, je ne suspecte rien. J’accepte la trinité augulantienne, je prends le professeur, l’économe et l’homme du monde. Je tiendrai même la boutique du père, ou, du moins, ce qu’il en reste, je vendrai tout le jour des peignes, des faux cheveux et des savons. Faudra-t-il que j’apprenne aussi à raser ? Bah ! peut-être qu’un jour j’aurai la chance de vendre mon mari, enfermé dans un petit pot de pommade rose, à une douairière, qui voudrait se rajeunir.

Debout, elle saluait son reflet dans la glace, les deux mains pinçant sa robe écartée, dans une révérence à l’ancienne mode. Et elle imaginait aussitôt un dialogue