— Parlons d’autre chose !
— Certes, je reconnais que la vie est chère. Nulle ne le sait mieux que moi. Veux-tu avoir des provisions, devant toi, pour l’avenir ?
— Je ne veux rien, je ne demande rien, — sinon qu’on me fiche la paix. Quant à mon mariage, zut, n’est-ce pas ?
Il y eut un silence, Mme Pioutte pleurait à petits coups comme une gargouille qui se déverse. Charles mangeait la moitié d’un croissant qu’il venait de trouver sur la commode.
— Si ton oncle apprend cela, tu n’auras plus un sou !
— Et alors, dit brusquement Charles, comme je n’ai de goût que pour la peinture, et que, pour vivre, il faut au moins se donner la peine de vivre avec agrément, je me débarrasserai au plus tôt de ces soucis, une balle de revolver est vite reçue !
Mme Pioutte frémit de terreur et vit, dans son imagination affolée, un Charles étendu sur un lit, le front troué d’une blessure rouge, près d’une jeune fille de bonne maison, qui joignait ses mains aristocratiques et pleurait sur les draps sanglants.
— Tu ne ferais pas cela, s’écria-t-elle, en pâlissant.
— Plus souvent que je me gênerais ! répondit Charles.
— Tu ferais ça, toi, toi… Toi que j’ai élevé chrétiennement, tu me laisserais…
— Que je meure de faim, ou autrement, pour toi, le résultat est le même !
— Tu n’as pas de cœur, tu es cruel, injuste, égoïste… Tu n’as pas pitié de moi, ta mère…
— Allons, nous y voici, recommence à faire des phrases !
— Mais enfin, pourquoi te faut-il vingt mille francs ! s’écria Mme Pioutte, éperdue, explique-moi au moins ce que tu veux faire de tant d’argent !
— Sapristi, maman, ne comprends-tu pas qu’avec les deux cents francs que je reçois de mon oncle il m’est impossible de vivre avec Clémentine…
— Tu le fais bien maintenant…
— Maintenant, je vis en concubinage, comme tu le dis si bien. Sais-tu que nous logeons en garni ? Avec cet argent nous serions chez nous, nous pourrions avoir con-