loutés faisaient de larges plis bien ronds, comme luisants de graisse, les chaises rembourrées reposaient rien que par leur vue. Dans le buffet vitré, on apercevait des services étincelants, des assiettes larges comme la figure de l’abbé Bonsignour, une soupière d’argent aux flancs si épanouis qu’elle paraissait enceinte, une cafetière bedonnante, des tasses boursouflées. Enfin, il n’y avait pas sur les murs de crucifix ou d’images d’un Christ amaigri, osseux et étiré par le supplice, mais un tableau ancien représentant une joyeuse Nativité où, dans une ferme assez élégante, un petit Jésus, frais et rose, agitait ses petits bras potelés entre une Vierge de bonne allure, aux joues rebondies, et un Saint-Joseph obèse. Et des coussins, remplis de plumes à en crever, se soulevaient avec peine sur les sièges arrondis, et des tabourets bombés s’accroupissaient sur la laine du tapis profond et presque élastique, et une lourde chatte, pareille à une boule d’étoffe blanche, dormait au centre d’un pouf vert.
L’abbé Bonsignour entra joyeux, hilare, épanoui, les deux mains ouvertes et tendues devant lui.
— Ce bon Théodore ! Enfin, le voilà ! Quel plaisir de te revoir ! Il y a des siècles que nous ne nous étions vus ! Quel bon vent t’amène ?
Mais Barbaroux secoua sa tête sèche et ridée.
— C’est un bien mauvais vent, mon ami, que celui qui me conduit aujourd’hui chez toi ! Et je donnerais bien des années de ma vie pour ne pas être obligé de faire la demande que je me vois forcé de…
— Ah ! mon Dieu ! s’écria Bonsignour, en poussant un siège vers son ami et en s’étalant sur le canapé, que t’arrive-t-il ?
— Je ne peux rien te dire, murmura l’abbé. Ne me demande rien. Mais je me trouve dans une situation affreusement douloureuse et pénible. Et si je viens chez toi, ce soir, c’est…
Il s’interrompit. Sa voix s’arrêtait dans sa gorge. Il n’osait prononcer la phrase humiliante. Et, levant vers le ciel ses yeux brouillés, il offrait de nouveau à Dieu ce sacrifice.