selon ses fautes, mais selon votre miséricorde, qui est infinie !
— Mon pauvre oncle ! dit Cécile, un peu émue, je regrette le mal que je viens de vous faire. Ne croyez pas que je sois sans cœur ou complètement perdue. Mais si vous saviez ce que j’ai souffert, moi aussi, et quels désirs de vengeance m’ont tourmentée, pendant des années ! J’ai appris à juger la société, à la mort de mon père, et c’est depuis que je la hais ! Et comme je l’ai détesté, ce Louis, quand il m’a demandée en mariage…, quand vous m’avez obligée à l’épouser, ma mère et vous ! Je ne pouvais le souffrir, sa nature était d’instinct antipathique à la mienne, il m’énervait en tout. Je ne le voyais pas entrer, s’asseoir, prendre son chapeau, manger, parler, sans subir un tressaillement de haine et de colère. J’ai voulu me venger sur lui du monde, de ses lâchetés, de ses humiliations, de ses affronts, de ses hypocrisies ; j’ai voulu le punir de m’avoir choisie et de vous avoir plu, j’ai désiré connaître ce qu’était peut-être au fond cet honnête homme, vanté par tous. Je l’ai perdu volontairement, pour le punir et me punir, comme on se fait mal pour avoir plus de droits d’en vouloir à tout de ce qu’on souffre, pour avoir une torture plus aiguë encore que celle que l’on a, et dont l’intensité fasse oublier l’angoisse lente, continue, qui vous écrase… Et puis, je ne sais pas pourquoi !
— Mais tu te perdais avec lui, fit l’abbé, qui ne comprenait rien à ces sentiments douloureux de raffinée inquiète.
— Bah ! tant pis, me disais-je, plutôt le plein malheur que cette vie d’ennui ! — Eh bien, savez-vous, mon oncle, avoua-t-elle, je ne le déteste plus. Il a brisé sa carrière si courageusement pour moi que je l’estime. Non, vous ne pourrez pas comprendre cela, vous. Je l’estime d’avoir volé pour moi… Cela vous paraît incohérent, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est ainsi. Je lui en suis reconnaissante, et quand je le vois souffrir, j’ai pitié de lui… Je commence peut-être même à l’aimer !
L’abbé soupira :
— Écoute, Cécile, pour vous sauver, toi et lui, je con-