l’angle du buffet, un couteau qui tomba sur le sol, avec un bruit métallique. Caillandre sursauta, comme dut le faire Charles VI, quand la lance choqua le casque du page. Il se leva avec épouvante et passa dans la chambre à coucher, où Cécile se glissa derrière lui.
Là, le jeune homme parut se remettre un peu. Il piétina d’une marche fiévreuse le tapis semé de grands pavots d’un vert pâle jetés sur un fond crème. Il alla au cabinet de toilette plonger sa tête dans la cuvette. Cécile entendit l’eau ruisseler. Il revint, la figure encore humide. Il chantonnait. Sa femme se déshabillait.
Caillandre s’élança tout à coup vers elle et d’une voix comme indignée, il s’écria :
— Tu as entendu ce que disait tout à l’heure ce Laniscourt ? Eh bien ! cet homme, qui défendait un voleur et qui admet le vol et le crime, est le plus honnête homme du monde. Et moi, cria-t-il, avec angoisse, moi, qui défendais la vertu, la probité et l’honneur, moi, je suis un voleur !
Cécile leva brusquement la tête, et il parut à Caillandre stupéfait qu’elle souriait comme avec satisfaction. Il reprit avec fureur :
— Tu ne m’as pas compris ! Je suis un voleur. J’ai volé douze mille francs à la caisse. Oui, je sais, je ne faisais que les emprunter, je comptais les remettre… Mais on vient faire la caisse, demain… et je suis perdu. Je suis un voleur, entends-tu, Cécile ! un vo-leur !
Il se tordait les mains avec frénésie ; ses gros yeux, injectés de sang, repoussant leurs paupières gonflées, étaient horribles à voir. Il haletait. Son souffle saccadé sortait de sa poitrine avec un sifflement pénible. L’attitude calme de Cécile l’ahurissait.
— Eh bien ? Tu ne dis rien ? Tu ne parles pas ? Mais jette-toi sur moi, déchire-moi, arrache-moi les yeux avec tes ongles ! Ne comprends-tu pas que demain je serai dehors, sans le sou, sans situation, jeté à la rue, à la misère, comme un chien ? Bienheureux encore si on ne me traîne pas en prison, si je ne passe pas en cour d’assises ! Ne vois-tu pas que je suis déshonoré, que le nom que mes parents m’ont légué honnête et probe est celui d’un voleur,