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XIX

CONFLIT DES RÉALITÉS ET DES RÊVES


Chaque dimanche, Mme Caillandre recevait des camarades de son mari. Ils venaient avec leurs femmes. Cette société, mesquine, envieuse et stupide, l’amusait fort peu. Louis lui amena, un jour, un de ses amis, Laniscourt, un homme d’esprit, assez bohème, qui écrivait des revues pour les cafés-concerts. On parla, cet après-midi-là, d’un individu qui avait volé pour sa maîtresse, et, au scandale de toute l’assistance, le nouveau venu prit ardemment la défense du voleur. Il sema à pleines mains des paradoxes qui ahurirent les invités. La discussion fut longue, envenimée d’allusions personnelles et de propos aigres-doux.

— Je demande, proclama finalement ce M. Laniscourt, que si l’homme reste honnête, ce soit par passion de l’honnêteté, par amour, pour ainsi dire, et non par peur du gendarme. Je réclame un enthousiasme personnel, un choix, non pas une restriction et un esclavage. Je préfère celui qui vole, s’il s’affranchit en le faisant, à celui qui ne vole pas par terreur de la religion, de la morale, de son concierge, des lois qu’il n’a pas élues. Être honnête, c’est affirmer une vertu, non point esquiver un vice. Si l’on manifeste son honnêteté, en étant plus fort que les tentations, tant mieux, mais il est souhaitable, puisque les possibilités de l’homme sont infinies, que l’on manifeste sa personnalité en volant plutôt que de ne pas la manifester du tout.

Un murmure de réprobation unanime s’éleva de la société. M. Caillandre dit alors, d’un ton protecteur :

— Croyez-en mon expérience, mon cher. Je sais qu’il ne faut pas trop s’épouvanter de ce que vous dites. Chez vous, le cœur est meilleur que la tête. Mais comme beaucoup de jeunes gens, vous êtes séduit par l’étrangeté de certaines théories paradoxales, fort dangereuses. Vous