quences, et de détacher le jeune homme de la femme qui l’avait captivé et qui le tenait en esclavage, car Mme Pioutte ne doutait pas que Charles fût un brave enfant, trop naïf et trop inexpérimenté, pour se défier des ruses d’une dangereuse sirène. Elle lui envoya de l’argent afin qu’il vînt passer quelques semaines auprès d’elle. Charles arriva sans méfiance. Le soir même de son retour, sa mère l’entreprit sur le chapitre de ses mœurs avec une redoutable violence. Elle s’emporta, elle cria, elle pleura. Mais Pioutte opposait à ses reproches, à sa colère et à ses larmes une sereine indifférence et des plaisanteries moqueuses. Il inventa d’ailleurs, pour s’excuser, tout un fabuleux roman, transforma sa maîtresse, en réalité modèle fort vulgaire, en une belle jeune fille de bonne famille qui s’était enfuie de chez elle, où elle était malheureuse, battue même par une marâtre, évidemment empruntée à quelque mélodrame, et il déclara qu’il ne l’abandonnerait jamais. Sa mère crut à ce conte. Il flattait sa vanité et son admiration pour Charles. Elle se tut. Puis, un matin, où le peintre causait avec Mme Pioutte dans sa chambre, la discussion recommença :
— Avec tout ce que j’ai fait pour toi, Charles, voilà comment tu m’en récompenses !
Mme Pioutte se tenait assise auprès de son lit, petite, vive, l’œil gris, rusé et fin, la figure osseuse, le teint jauni, la peau serrée sur les os. Elle avait la forte mâchoire et le grand nez en bec de vautour de son frère, mais l’air défiant et dissimulé.
— Non, mais c’est inimaginable, à la fin, s’écria Charles. — Ce que j’ai fait, ce que j’ai fait ! On dirait que j’ai tué quelqu’un ! Tout ça, parce que j’ai une maîtresse !
— Malheureux ! mais si ton oncle le savait !
Charles éclata de rire.
— Ah ! oui, je crois que si mon oncle le savait, il en ferait une fière maladie ! Tout le monde ne peut pas vivre comme lui. Je ne suis pas un anachorète, moi !
— Ton enfant naîtra-t-il bientôt ? demanda madame Pioutte, après un moment de silence.
— Dans cinq mois.