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tera, tant pis ! — ou tant mieux ! Je serai contente de ce mépris, fière de ces calomnies, orgueilleuse de cette haine. Je saurai que je soufflette, tout de même, un peu, dans ses règles honteuses cette société odieuse, lâche, hypocrite… Et d’ailleurs, beaucoup m’envieront !

La douce et rieuse Virginie n’était plus reconnaissable. Sa figure calme, gaie et paisible, s’était brusquement transformée en un masque dur, farouche et tourmenté. À son tour, elle montrait, comme Cécile l’avait fait, lors de son mariage, cette ulcération d’une âme malade, cette sensibilité toujours à vif, cette plaie d’un amour-propre que les premières déceptions avaient rendu douloureux et susceptible, ainsi qu’il arrive quand les êtres, dont toute la vie repose sur la vanité et le plaisir d’éblouir autrui, se trouvent précipités de leur place orgueilleuse, et ne récoltent plus que dédain, moquerie, indifférence, abandon.

Tournant vers Sylvestre son visage ardent comme un creuset où des métaux en fusion bouillonnent, ses traits altérés, sa bouche altière, Virginie disait :

— Tous nos amis ont été heureux de ne plus nous connaître, de nous laisser de côté, de nous mépriser. Je le serai, moi, à mon tour, de leur montrer le peu de cas que je fais d’eux et de leur opinion. Ah ! si vous saviez, quand le malheur a frappé sur nous, comme tous ceux qui mangeaient et dansaient à la maison ont été satisfaits de notre ruine, contents de nous débiner, de nous haïr, de nous regarder avec une condescendance pleine de pitié hautaine ! Si vous saviez les lâches calomnies que l’on a répétées sur notre compte, et comment ce qui était des qualités charmantes, au temps de notre richesse, est devenu vice éhonté quand nous avons été pauvres ! Ils se sont bien vengés, les laiderons que nous rejetions dans l’ombre, par notre seule présence, Cécile et moi !…

— Calme-toi, s’écria Andréa. Ne te mets pas dans un pareil état… Mon Dieu ! Comme tu es susceptible, ma chère !

— Bravo ! Bravo ! disait Legoff. Voilà qui s’appelle parler avec énergie. J’aime cela, moi, qu’on ait du caractère et que l’on éprouve de la haine comme on éprouve