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Fils d’un des premiers agents de change de la ville, âgé de vingt-cinq ans, aimable et mondain, Legoff aurait pu prétendre à la main des jeunes filles les mieux dotées. La fougue d’un caractère ardent et sentimental, le destin et un certain goût poétique pour le romanesque avaient fixé, auprès de Virginie, l’inquiétude de ce cœur, à qui l’usage constant et précoce des choses d’argent avait, par extraordinaire, inspiré un curieux détachement des réalités trop pratiques. Il avait en ceci hérité du caractère de sa mère, qui fut sensible, amoureuse et passionnée, et qui mourut, phtisique, deux ans après le mariage d’un amant, qu’elle avait aimé de toutes ses forces, et uniquement.

Le nouveau venu porta successivement à ses lèvres la main de sa cousine, puis celle de Virginie.

— Comment va ma délicate cousine Ariel ? dit-il, — il avait la manie de donner à chacune de ses connaissances un surnom poétique ou drôlement prétentieux, — et se tournant vers Virginie : — Que je suis heureux de vous voir, mon amie ! Le croiriez-vous ? Depuis une semaine, je pense avec tant de joie au moment de vous retrouver que je craignais que ce moment ne vînt jamais plus. Figurez-vous que, depuis huit jours, je ne suis pas monté en automobile, de peur d’un accident qui me défende notre rencontre ! L’amour rend superstitieux !

Assis au fond d’une bergère, il regardait Virginie avec amour. Andréa déclara qu’elle allait faire servir le thé et gagna la porte ; cette sortie ne trompa pas les amoureux. Ils reconnurent, dans un sourire mutuel, la délicatesse de leur amie. Sylvestre se leva et vint s’agenouiller aux pieds de la jeune fille ; et tout en plongeant son regard dans le sien, il lui murmurait des tendresses imprécises, ces formules vagues et amoureuses, qui bercent l’âme comme une chanson enfantine et l’engourdissent comme un parfum. Le monde était fini pour eux, ils devenaient leur propre monde, cet univers à deux, qui flotte dans les rêves des amants comme un mirage que l’on a devant les yeux et que l’on n’atteint jamais, et dans une extase, douloureuse à force d’intensité, ils s’imaginaient qu’ils étaient tout l’un pour l’autre, qu’ils avaient assez d’amour